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le connaissent, ils s’engagent pour lui comme lui pour eux, ils répondent les uns pour les autres absolument. L’argent ne manque pas dans notre pays, on le trouvera d’autant plus sûrement que les fonds destinés à payer les intérêts sont là, versés par l’État, dans la caisse du comice ou de l’association qui fait l’emprunt.

Ce ne sont pas seulement des alimens qu’on achètera ; là où les machines sont rares, où les hache-paille, notamment si utiles cette année, font défaut, on pourra les acquérir sur les fonds votés. Au printemps même, quand il faudra acheter des animaux pour remplacer ceux qui auront été sacrifiés ou qui auront péri pendant le difficile hiver qui s’avance, les fonds alloués par l’administration pourront encore aider aux emprunts qui seront nécessaires.

Sans doute, le désastre est grand. L’abondance des fruits, l’admirable récolte de vin du sud-ouest, ne compensent pas les pertes éprouvées ; et cependant dans quelques années, quand ces pertes seront réparées, oubliées, peut-être de ces dures épreuves restera-t-il quelque bien. On aura appris que les feuilles d’arbres, les ramilles presque partout négligées sont d’un emploi avantageux ; les champs, qui restaient découverts pendant tout l’automne, porteront régulièrement des cultures dérobées, et quand on se rappelle combien sont énormes les pertes d’azote nitrique que supportent chaque année les champs non ensemencés à l’automne[1], on sera convaincu que l’habitude prise d’obtenir, après chaque récolte de céréale, une récolte fourragère n’aura pas été payée trop cher par les souffrances cuisantes de cette année.

Si, enfin, la nécessité pousse nos cultivateurs à créer ces petites associations restreintes, composées d’adhérens sévèrement choisis, et à obtenir ainsi le crédit qui, aujourd’hui encore, leur fait défaut, on reconnaîtra une fois de plus que c’est sous le rude fouet de l’adversité que le progrès s’accomplit… Dans cinq ou six ans, les pertes actuelles seront réparées, oubliées et peut-être à ce moment entendra-t-on un des cultivateurs, actifs, réfléchis, comme il y en a tant dans notre pays, se dire : tout de même, nous avons beaucoup gagné depuis la grande sécheresse de 1893.


P.-P. DEHERAIN.

  1. Voyez la Revue du 15 mai, p. 391.