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semblait un véritable Éden, une calme retraite réservée à leurs jeux, une forêt vierge où ils cheminaient libres, loin de tout regard sévère.

Joachim n’avait point la passion de l’exégèse. Quand, assis à l’ombre des murailles du palais, il avait expliqué à Victorien deux pages de l’Évangile ou des pères, il fermait bientôt le livre, regardait vers la mer de verdure et disait :

— Je vois là-bas Pia, dans l’avenue de cyprès, en robe blanche, avec son chevreuil. Allons à sa rencontre, mon ami.

On errait alors à travers les buissons touffus, dans les petits bois de chênes verts et de buis qui s’étaient formés çà et là, au hasard du soleil et du vent. La promenade avait commencé gravement. Victorien, en présence de l’évêque, ressentait encore la timidité qu’il avait éprouvée au jour de la rencontre sur les bords du Tibre. Il appelait Pia « madame, » et celle-ci, un peu moqueuse, lui répondait : « messire. » Le chevalier parlait du château Saint-Ange, du capitaine Annibali, gouverneur de la forteresse, des souterrains humides où languissaient plusieurs hérétiques impénitens. Pia faisait mine de ne point écouter, s’éloignait à droite, à gauche, cherchant dans l’herbe des fraises sauvages ou des trèfles à quatre feuilles. On s’approchait ainsi doucement de quelque nid d’hirondelles ou d’une tanière de ces petites chouettes aux yeux d’un jaune d’ambre dont se servent à Rome les chasseurs pour attirer les alouettes. Joachim s’arrêtait, la tête en l’air, la bouche épanouie, comme s’il retrouvait une famille d’amis longtemps perdue. À ce moment, Fulvo, obéissant à un signe de sa maîtresse, s’élançait d’un bond violent dans les halliers et fuyait avec fracas. Pia courait à sa poursuite. Victorien regardait l’évêque, comme pour lui dire :

— Laissez-moi partir.

— Allez, répondait le prélat, mais revenez bientôt. Vous n’avez que deux heures. Moi, je demeure ici, dans la société de ces oiseaux, car mes jambes sont trop lentes pour votre chevreuil. Vous êtes certain de m’y retrouver.

Ils le retrouvaient toujours. Il avait attendu patiemment, tout en lisant son bréviaire. Eux, n’avaient point couru très loin, car le chevreuil, admirablement dressé par une fée, avait bientôt rebroussé chemin, pour caresser de sa fine tête fauve le bras de Victorien. Ils repartaient alors à la découverte, après avoir averti un merle, campé dans un certain bouquet de peupliers, qui, très vite apprivoisé, les suivait en sifflant et sautillant de branche en branche. Il y avait des fourrés presque impénétrables, hantés par les écureuils, où ils s’aventuraient, Pia, conduite à la main par