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depuis, écrit mélancoliquement M. Holyoake, mais la participation n’a pas été reprise. La filature a été agrandie, mais les profits sont toujours partagés entre 1 200 actionnaires parmi lesquels ne figure pas un seul ouvrier de la filature[1]. » L’auteur exagère sans doute un peu, car il n’est pas impossible qu’il se rencontre quelques ouvriers actionnaires ; mais la grande masse de ces derniers est étrangère à l’établissement.

Les magasins coopératifs de vente d’objets de consommation continuent de fonctionner à Rochdale ; ils ne semblent pas, toutefois, mettre en pratique la totalité des règles que l’on considère en général comme faisant partie des principes de la coopération. Ainsi, dans les statuts de la Société, il est établi que « aucun agent de la Société (no servant of this Society) ne peut remplir un emploi quelconque dans le conseil d’administration (any office in the committee of management), ni être admis à voter pour les candidats à ce conseil, ni être un commissaire des comptes (an auditor) sous quelque rapport que ce soit ». Miss Potter, un des historiens récens de la coopération, écrit que « cette disqualification des employés pour les positions officielles est devenue un principe constitutionnel dans les magasins coopératifs fondés par les ouvriers », et que la privation pour les employés du droit de vote est aussi très répandue. Bien plus, certains magasins coopératifs ne permettent même pas à leurs employés de devenir membres de la Société. Dans beaucoup d’associations même la simple parenté avec un employé constitue une disqualification pour y occuper des positions officielles, c’est-à-dire des places d’administrateur, contrôleur, etc.[2]. On peut expliquer par la prudence cette suspicion ; elle n’en constitue pas moins une grossière infraction à l’idéal fraternel que certains apôtres se forment de la coopération. Si l’on ajoute que très peu de sociétés coopératives de consommation admettent leurs ouvriers à la participation aux bénéfices, on voit combien on est loin de l’idéal.

L’éclatant succès des Equitables Pionniers de Rochdale n’est donc pas sans quelques ombres ; la principale consiste dans la perversion en simple société anonyme de la Société de production qu’ils avaient fondée ; même leurs magasins coopératifs, qui ont

  1. Almanach de la Coopération française, 1893. Les Équitables Pionniers de Rochdale, par George-Jacob Holyoake, p. 39. Consulter aussi l’Histoire des Équitables Pionniers de Rochdale, par Holyoake, traduction de Combier, 1888, 1 vol. in-12 ; mais l’auteur s’y tait sur la perversion finale de la société en ce qui concerne la coopération de production.
  2. David F. Schloss, Methods of industrial remunération, p. 227. Nous avons vérifié la clause restrictive quant aux employés eux-mêmes, dans les statuts des Équitables Pionniers de Rochdale ; c’est l’article 23 de ces statuts. (Voir Histoire de la coopération à Rochdale, par Holyoake, p. 255.)