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riches… Du jour où les sociétés coopératives seraient en mesure d’acheter tout le montant de la production annuelle de la France, il est évident qu’elles seraient absolument maîtresses, non seulement du commerce, cela va sans dire, mais de toutes les industries productives, et qu’elles auraient désormais le choix soit de les acheter, soit de les éliminer, soit tout au moins de les dominer… » Par là, continue l’auteur, l’organisation économique actuelle, dont il croit avoir démontré les vices, sera totalement changée. « Au lieu d’être réglée, comme elle l’est aujourd’hui, en vue du producteur et du profit individuel, elle sera réglée désormais en vue du consommateur et des besoins sociaux. La pyramide qui était posée sur la pointe et qui donnait un équilibre instable, sera retournée sens dessus dessous et assise désormais sur sa base, ce qui donnera un équilibre stable. La production, au lieu d’être maîtresse du marché, redeviendra ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être, servante obéissant docilement aux ordres de la consommation. »

Il serait superflu de nous arrêter à réfuter ces raisonnemens. Il est clair que, dans un état de liberté, le producteur ne peut réussir que s’il offre aux consommateurs des objets qui lui conviennent ; plus la liberté du commerce est étendue, plus surtout elle s’applique aux échanges internationaux, plus il est certain que la production se modèlera sur la consommation ; les bons commerçans sont ceux qui savent le mieux deviner les goûts et mesurer les besoins des consommateurs, et les bons industriels sont ceux qui se mettent à même de satisfaire ces goûts et ces besoins de la façon la plus complète et au moindre prix. En tout état de cause, c’est toujours la consommation qui domine la production.

Les coopérateurs mystiques continuent à détailler leur conception tout idéale : « Par là, la production ne travaillant que sur commande et ne fournissant que ce qu’on lui demande, ne produira ni trop ni trop peu, sauf les erreurs inhérentes à toutes les prévisions humaines ; et par conséquent, on doit arriver à prévenir tout encombrement, surproduction, crises, chômage… » Nous avons souligné ces mots : sauf les erreurs inhérentes à toutes les prévisions humaines ; c’est là, en effet, la cause principale de toutes les crises commerciales ; mais comment l’accaparement par les sociétés coopératives de tout le domaine de la production diminuerait-il les « erreurs inhérentes à toutes les prévisions humaines », l’auteur ne le démontre pas ; il reste tout entier dans un postulat. Nous avons, au contraire, prouvé, quant à nous, que dans une société qui comporte le jeu isolé ou librement combiné de toutes les différentes prévisions humaines, avec toutes les diversités de caractère et d’esprit, de pessimisme et d’optimisme, la part des erreurs