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(car il n’est pas défendu de faire ses réflexions en passant) quelles velléités de retour en arrière peuvent se dégager des études historiques entendues d’une certaine façon. Mais il est inutile de nous arrêter davantage à une idée qui s’était indûment introduite dans le cahier des réformes et que son parrain a résolument abandonnée.

II

Le rapport s’occupe ensuite des mots d’origine étrangère. Au risque d’indisposer les puristes, je dirai qu’il faut laisser aux mots anglais leur orthographe anglaise, d’abord parce qu’on ne peut pas faire autrement, et ensuite parce qu’on créerait des mots qui ne seraient d’aucune langue. Que voulez-vous faire avec speech, studbook, four-in-hand ? En vain dira-t-on que plusieurs de ces termes anglais sont primitivement venus de France : le costume qu’ils ont porté en dernier lieu est le vrai et le seul ; celui qui voudrait les en dépouiller leur enlèverait leur raison d’être. Il est clair qu’interview se compose des mêmes élémens que notre français entrevue ; mais tout le monde sent que le mot anglais, ou plutôt américain, avec son dérivé interviewer, suscite un cortège d’idées que l’honnête et simple entrevue n’éveille point. — L’anglais sport est d’origine française : mais un journal qui publierait un article consacré aux déports du monde élégant donnerait lieu à des malentendus. — « Il y avait dans notre ancienne langue, dit Littré, un verbe fleureter, qui signifiait babiller, dire des riens. » C’est l’origine de l’anglais flirt. Mais le nouveau venu anglo-saxon donne, ce semble, à une très vieille chose une nuance et comme une attitude nouvelle.

Ces mots étrangers, il faut s’y attendre, deviendront de plus en plus nombreux. Le langage est ici le miroir de la réalité : toute mode, toute invention importée du dehors amène avec elle un stock de vocables. Ne voyons-nous pas nos journaux remplis de records ? Il est inutile de s’en affliger : c’est le cours même des choses qui le veut ainsi. Nous prenons d’ailleurs grandement notre revanche avec les autres nations, et les puristes d’outre-Manche, non moins que ceux d’outre-Rhin, se plaignent assez des invasions françaises.

On a proposé de franciser ces mots étrangers ; mais le temps où le riding coat anglais est devenu la redingote française est loin. Notre époque se distingue précisément par une intelligence plus prompte des formes, des mœurs, des usages. Ce n’est pas au moment où nous nous essayons aux sons de la langue slave qu’il faut nous parler d’effacer intentionnellement les lettres qui dénotent une origine exotique.