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sait pleine liberté à nos phonéticiens, pour comprendre un livre il faudrait s’en faire la lecture à haute voix. La vérité est, je crois, du côté des anciens.

Ces bons esprits qui ont jeté les fondemens du Dictionnaire de l’Académie, — M. Pellisson, M. de Mézeray, M. de Vaugelas, l’abbé Régnier-Desmarais, — n’étaient pas, comme on a l’air de le supposer, des hommes voulant faire montre d’une science inutile. C’étaient au contraire des gens de bon sens et de savoir pratique. Chez quelques-uns, comme Vaugelas, la crainte du pédantisme allait jusqu’à l’excès. Quoique fin lettré, il affectait de ne connaître autre chose que le français ; encore fallait-il que ce fût le français le plus récent, celui qui se parlait actuellement à la Cour. Il refusait de connaître la cause des règles, n’admettant d’autre maître que l’usage. Il allait jusqu’à accepter des fautes évidentes, comme recouvert pour recouvré, du moment qu’on parlait ainsi à la Cour : « Je dirai recouvert avec toute la Cour pour satisfaire à l’usage, qui, en matière de langues, l’emporte toujours par dessus la raison… On a beau invoquer Priscien et toutes les puissances grammaticales, l’usage est le plus fort et doit rester le maître. » On dirait qu’il a un secret plaisir à contredire la grammaire : c’est la beauté des langues que certaines façons de parler qui défient la logique, pourvu que l’usage les autorise. Ces gens du monde n’auraient pas compris que des savans s’arrogeassent un droit de priorité : la langue, res communis, est le bien de tous, et l’orthographe, qui interprète la langue, doit par-dessus tout consulter l’intérêt public.

Une bonne orthographe est celle qui vient en aide à la langue parlée et qui, à l’occasion, sait en pallier les défauts. À quoi sert-il de le taire ? notre idiome a, comme tous les autres, ses secrètes faiblesses et ses légers vices de conformation. Faut-il, par fidélité à quelque système, les étaler aux yeux ? Ces sages maîtres de bon langage ne l’ont point pensé. Si on écoutait notre extrême gauche orthographique, sceller une lettre s’écrirait comme seller un cheval, et le ministre de la Justice deviendrait le garde des seaux. En effet, la lettre qu’on a placée après 1’s initial n’a aucune raison d’être. Je ne crains cependant pas de dire que celui qui proposerait de l’enlever n’agirait pas en fils respectueux de la langue française. Quelque considération que nous inspire la science en général, celle-ci n’est pas d’un tel prix qu’il faille tout lui subordonner. Les premiers académiciens, moins systématiques que nos jeunes confrères en philologie, croyaient que l’orthographe était faite pour nous, et non pas nous pour elle. Ils sont arrivés de cette façon à figurer sans trop d’imperfection les sons d’une langue dont leur unique ambition était de mieux faire ressortir les mérites. Je ne puis résister au plaisir de citer l’un d’eux : « Il n’y a jamais eu