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se contraindre au point de ne s’emporter pas dès qu’on ne fait pas absolument et aveuglément tout ce qu’il veut[1]… »

Cependant les plénipotentiaires s’étaient de nouveau réunis le 4 septembre avec la même prétention au mystère. La discussion se rouvre ; nous la suivons jusqu’au 21 septembre. Conférence tous les jours. On passe en revue l’histoire depuis plus d’un siècle ; c’est un défilé de personnages illustres : François Ier et le connétable de Bourbon, Henri IV et Antonio Ferez, Richelieu et le duc de Rohan. De Lionne a les honneurs de la lutte, au moins d’après ses dépêches, et il est fort probable que ses dépêches disent vrai. Don Luis se tient sur le terrain de l’honneur et se répète sans se lasser ; mais son argumentation est à bout de voie, et il fait intervenir son « secrétaire pour les langues », don Christoval[2], qui, connaissant mieux le détail des affaires et plus au courant des « intérêts de M. le Prince », semble plus difficile à démonter. Le début ne fut pas heureux.

Don Christoval avait préparé un coup de théâtre. Il fait apparaître Condé sous un jour nouveau, tout prêt à dispenser le roi catholique de ses engagemens : par ordre de leur mandant, « le comte de Fiesque et Mazerolles sont tous les jours chez Son Excellence (don Luis de Haro) pour la supplier que l’on ne rompe point pour les intérêts dudit sieur Prince »[3]. Le « secrétaire pour les langues » pensait sans doute que de Lionne se montrerait touché de la générosité et de la grandeur d’âme de Condé ; mais le vétéran de la diplomatie française était à l’épreuve de ces sortes de surprises. Nullement sentimental, il vit aussitôt le côté pratique : « Quoi ! reprit-il, le principal intéressé abandonne le traité dont vous arguez toujours, et c’est vous qui vous y tenez pour refuser la paix à la Chrétienté ! » Et afin de montrer qu’il n’a pas de pouvoir secret et qu’il ne tient pas en réserve quelque concession nouvelle, de Lionne « sort de sa pochette » les instructions du cardinal. On l’arrête au milieu de la lecture : « Ah ! si le roi a donné à M. le prince de Conti les charges et gouvernemens que nous redemandons pour son frère, c’est que S. M. se réserve de les rendre. — Détrompez-vous. Si l’on s’est empressé d’en pourvoir M. le prince de Conti, c’est pour bien établir qu’on ne veut pas l’en dépouiller. Ne me parlez pas davantage d’un rapprochement entre Son Eminence et M. le Prince. Je ne suis pas ici pour traiter d’accommodemens particuliers, mais de la paix entre les deux couronnes. Rompons ou concluons. — À demain donc pour en finir », réplique don Christoval.

  1. Dépêche de de Lionne, 18 septembre 1656. A. E.
  2. Don Christoval Angelato y Cracempach.
  3. Mémoire de de Lionne, 21 septembre 1656. A. E.