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C’est ainsi que dans des mesures diverses l’Allemagne, l’Italie, l’Angleterre, l’Amérique du Nord, la Russie, la Hollande, la Belgique, la Suisse, la Hongrie, l’Autriche, l’Espagne concourent au fonctionnement de ce laboratoire unique. Il revêt par là même un caractère international fort curieux, et la forte subvention du gouvernement allemand ne change rien à ce fait. Il est à remarquer en effet qu’elle n’est point inscrite à un chapitre quelconque du budget, mais bien à celui du ministère des Affaires étrangères ; et, dans un article de la Deutsche Rundschau écrit spécialement pour des Allemands en vue de légitimer ce crédit et d’en faire comprendre l’utilité, M. Dohrn ne craint pas de rappeler ce double caractère de l’œuvre : privé au début, international dans la suite. Pour les publications, quatre langues sont admises : l’allemand, l’anglais, le français et l’italien ; et la trentaine de savans qui peuplent les salles d’étude font de ce coin italien une petite Babel.

Je ne compte pas dans le revenu la vente des publications scientifiques : elles sont une cause de déficit ; nous en reparlerons plus loin. La station possède une remarquable collection d’animaux du golfe, préparés d’une façon hors ligne. À mesure que cette collection se forme, elle est vendue : échantillons pour musées, embryons pour études de laboratoire, tout se disperse à travers le monde contre mandat ; et l’intérêt scientifique de cette pratique se combine avec un certain intérêt financier. L’aquarium aussi, dont l’entrée est payante pour les touristes de passage, peut être provisoirement tenu comme contribuant à couvrir les frais. Mais il est temps d’entrer, et au rez-de-chaussée nous voici précisément dans l’aquarium.

De tout le laboratoire c’est l’endroit où se révèle le plus l’influence allemande : lorsqu’on y pénètre, on se croirait introduit dans quelque palais d’ondine ou de sirène. Il fait sombre ; les parois seules de la vaste pièce émettent une lumière très douce tamisée par l’eau verdâtre qui fait une ceinture presque continue. On ne distingue d’abord qu’une profusion de couleurs éclatantes ou tendres éparses dans la clarté liquide : c’est comme le premier papillotement d’un vitrail dont on ne reconnaît pas encore le dessin, avec cette sensation curieuse que produit la grande inégalité dans la vigueur des tons qui le composent. Puis, avant même que le dessin général n’ait pris forme, voici qu’il change : les couleurs se déplacent, les unes avec une rapidité de vol, les autres lentement, souplement, comme une fumée dans l’air calme. Ce sont des êtres qui se meuvent ; c’est un fragment de la vie sous-marine qui se révèle à nos yeux terrestres. L’indiscrète zoologie nous invite à venir regarder de plus près, à troquer notre impression de rêve contre des documens plus précis.