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Ces phénomènes de mimétisme volontaire, ou d’adaptation voulue de couleur à la couleur des objets ambians ne sont pas rares, et, dans un aquarium voisin, des poulpes ou pieuvres en offrent un autre exemple. Sur le rocher gris, un de ces mollusques se cramponne de ses huit bras étalés, et s’applique à figurer une bosse de la pierre. En approchant, on voit son œil mauvais elles contractions rythmées de l’entonnoir par lequel il envoie l’eau fraîche sur ses branchies. Un autre est logé dans un creux, et si le zoologiste reconnaît sa présence à la dépression que produit dans le sable le courant d’eau respiratoire, les crabes, qui sont pourtant des êtres avisés, sont dupes de l’apparente tranquillité du lieu : un bras couvert de ventouses sort de l’antre, se déroule, saisit l’imprudent crustacé, qui se débat en vain ; un autre bras, un autre encore, puis un autre s’allongent aussi : le crabe est étreint, écartelé, et de son bec d’oiseau, situé au milieu de ses tentacules, la pieuvre déjà lui déchiquette les entrailles. Au moyen d’un crabe et d’un bout de ficelle le gardien de l’aquarium offre un spectacle curieux. L’unique proie, inévitable objet de querelle, est descendue entre les deux poulpes. Une égale convoitise les anime ; l’un approche du but, l’autre le repousse, et leurs corps flasques se gonflent, rougissent, se hérissent de crêtes et de pustules ; leur entonnoir haletant traduit par la vigueur du jet d’eau absorbé et rejeté la surexcitation et la colère. Pas un bruit, pas un choc, et les préludes de cette bataille souple et silencieuse ont surtout cela d’inaccoutumé pour nous autres terrestres. L’un des rivaux a saisi le crabe ; il referme sur lui ses bras, se laisse tomber sur le sable, et son corps est instantanément décoloré. Mais l’autre le suit, et la lutte commence. Les seize bras enchevêtrés enlacent, glissent, se déroulent, brandissent mille ventouses. Sur la masse molle apparaît un œil étrange aussitôt disparu. La couleur de la peau pustuleuse monte jusqu’à l’écarlate. Pendant la bataille, le crabe a été « nettoyé » ; je veux dire que maintenant sa carapace est nette et propre au dedans et au dehors ; tout ce qui était mon est mangé. Le casus belli ayant disparu, la guerre prend fin, les pieuvres se séparent, leur rougeur tombe peu à peu, leur peau redevient lisse, et le rythme de leur respiration s’apaise.

Là ce sont des murènes sournoises et souples qui ondulent entre des débris de poteries ; — plus loin une gigantesque tortue avec sa tête d’oiseau nage monstrueuse et maladroite.

Dans un bac plus éclairé, où l’eau renouvelée pousse des gerbes de bulles d’air, il semble, tellement l’imprévu a brouillé l’impossible et le possible, qu’on voie voler des papillons. On a mis là des calmars péchés ce matin : ils ne pourront vivre que quelques jours, car ce sont des nageurs de haute mer. Ils nagent