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de remettre le soir la liste des animaux dont on a besoin pour les trouver le lendemain ou les jours suivans sur sa table de travail.

L’arrivée des animaux a lieu chaque matin, et le domaine du conservateur Lo Bianco présente à cette heure-là un spectacle aussi intéressant que pittoresque. Ce sont d’abord les pêcheurs de la Chiaia ou de la Mergelina ; vieillards blanchis sur l’aviron ou novices bronzés, parleurs et joyeux, qui apportent tout ce qu’ils ont capturé et qui « ne se mange pas ». — Parfois c’est intéressant, d’autres fois, non ; la consigne est de tout prendre, pour ne pas décourager les bonnes volontés. N’y a-t-il pas du reste besoin de vivres pour les pensionnaires de l’aquarium ? Et ne faut-il pas aussi de nombreux échantillons que le conservateur fixe avec leur apparence accoutumée, sans déformations ni contractions, et qui iront de là grossir les collections des musées ? Puis les pêcheurs de la station arrivent avec leurs trouvailles plus choisies et plus déterminées en vue des recherches du jour. Parmi ces matelots du laboratoire, les uns jettent eux-mêmes les filets ou la drague, d’autres circulent au milieu des barques qui chaque matin sillonnent les eaux du golfe, et prélèvent sur les pêches, moyennant quelques sous, ce qui leur semble présenter un intérêt zoologique. Une sûre pratique les guide dans ces recherches.

La station possède pour ce service cinq ou six bateaux à rame, un canot à vapeur, le Francis Balfour, et un petit yacht à vapeur d’une trentaine de tonneaux, le Johannes Müller. Il fut offert en 1877 par l’Académie de Berlin, qui mit du coup 40 000 marks au service de la zoologie maritime. Capable de fournir à toute pression une vitesse de 8 à 9 nœuds, complètement aménagé pour la manœuvre au treuil de la drague et autres engins, ce vaporetto répond admirablement à son but ; en arrière d’un petit rouffe, un assez large espace permet de se tenir une quinzaine à bord. Un soir, je reçus une invitation fort cordiale de prendre part à un dragage pour le lendemain. La brise assez fraîche et la houle assez forte ne faisaient pas prévoir un résultat zoologique bien remarquable ; mais, à défaut de pêche probable, il restait toujours le plaisir de humer quelque peu l’embrun pour se détendre du travail cellulaire. La réunion, composée d’une dizaine de savans de cinq ou six nationalités, était très gaie, et pendant que nous devisions de science et d’autres choses, le vaporetto, un peu le nez dans l’eau, filait, tranchant les vagues d’un bleu de couperose sous le ciel nuageux. On jeta la drague sur un riche fond vers Capri : essai superflu, la vague, encore plus forte que nous ne pensions, rendait toute tentative inutile. Bref, le dragage donna le résultat prévu pour cette fois, c’est-à-dire peu. Je me tins néanmoins