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cachent de puissans et honteux mobiles, ou encore pour les humilier devant l’inutilité de leurs efforts et devant les résultats dérisoires où aboutissent leurs meilleures intentions. Mais pénétrant en eux, il suit avec eux leur voie douloureuse. Yvette est l’histoire d’une fille de courtisane contrainte, par la fatalité de ses origines et du milieu où elle a été élevée, à devenir telle à son tour que sa mère. Ses velléités d’être une honnête femme, une révolte de pudeur instinctive, une tentative désespérée pour s’évader, tout sera inutile. La condamnation a été portée, par avance et sans appel. C’est le Demi-Monde avec son dénouement vrai : Mlle de Sancenaux y devenant non la femme, mais la maîtresse d’Olivier de Jalin. Et cela est si admirablement présenté, sans déclamation et sans vain apitoiement, que nous sommes saisis sur la fin par la tristesse de cette souillure imposée par la vie à une créature humaine. Monsieur Parent est un de ces bourgeois bonasses et crédules que leur niaiserie prédestine au sort de George Dandin. Mais cette fois l’auteur ne s’égaie plus aux dépens de ce brave homme. Il le rend intéressant par sa confiance même et par la coquinerie de ceux qui le trahissent, respectable par cet élan de son cœur soulevé de tendresse paternelle pour l’enfant né d’un autre. La mésaventure de Monsieur Parent, ce n’est plus un vulgaire accident, c’est un malheur, le malheur où sombre toute une vie et qui fait d’un homme désormais sans courage et sans dignité je ne sais quelle épave incertaine et quel débris sans nom. Mademoiselle Perle, où s’entendent les battemens étouffés d’un cœur discret et qui s’est sacrifié volontairement, Mademoiselle Perle est, peu s’en faut, une nouvelle sentimentale. Dans la Petite Roque, Maupassant étudie ce problème, un des plus angoissans qu’il y ait : Comment un honnête homme peut-il, dans une heure d’aberration, devenir l’égal des pires criminels, en proie désormais au remords, et tremblant chaque soir au retour des ténèbres où il verra dans l’effacement de toutes choses réapparaître l’image lumineuse de son crime ?

Maintenant il n’ignore plus que dans le cœur des hommes agité par tant de sentimens contraires, des batailles se livrent, et combien la lutte est douloureuse contre l’envahissement d’une idée. C’est ce qui donne à ce roman de Pierre et Jean son allure tragique. Un fils se sent peu à peu gagné par le soupçon et enfin empli par la certitude que sa mère a eu un amant. Toutes ses idées sur le monde en sont brusquement bouleversées. Il a vu, suivant une belle expression qui est de Maupassant, « l’autre face des choses » ; et pour l’avoir vue il se déprend à jamais de cette vie d’apparence et de mensonge. Il ira, cœur brisé, loin de ceux qui peuvent vivre calmes dans l’infamie, heureux par le bien-être