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nous rebrouilleroit plus fort et plus dangereusement que nous ne l’ayons encore esté ; au lieu que, retournant comme je doibs, sans aucune despendance pour les choses qui m’appartiennent, j’attendray sans inquiétude que M. le Cardinal veuille m’employer, et respondray avec une amitié libre et sans intérest aux tesmoignages qu’il me donnera de la sienne ; c’est le moyen d’en establir une entre nous… Pour mes amis, je serois le plus déshonoré homme du monde si je ne ramenois en France au mesme estat qu’ils estoient auparavant ceux qui en sont sortis à ma considération… » Et il conclut : « Je pense que Mécénas, Nestor, Uranie, †[1] ny vous ne croyez pas que je veuille sortir d’icy en me déshonorant, ny quitter les Espagnols que de bonne grâce. Et que Mécénas n’aille pas dire que je veux garder des mesures avec eux ; ce n’est nullement ma manière. Quand je me raccommoderay, ce sera de bonne foy et avec les meilleures intentions du monde ; et toutes les seuretés imaginables qu’on voudra prendre là-dessus, je les donneray ; mais aussy comme je veux me bras-lier avec ceux à qui je m’attacheray et y vivre avec honneur, je veux me séparer de ceux-cy de mesme ; et que la fidélité que je garderay à ceux cy soit une asseurance aux autres de celle qu’ils doivent attendre de moy. »

Le passeport longtemps attendu avait été envoyé par Mazarin[2], et, bien que rédigé en des termes qui ne satisfaisaient pas Condé, d’Auteuil allait en profiter, lorsqu’il tomba malade. Près de deux mois s’écoulent ; d’Auteuil n’a pas encore fait son voyage ; mais la négociation a sans doute marché, car, en prévision de la conclusion, M. le Prince a disposé ses troupes de façon à pouvoir les isoler et les séparer de celles d’Espagne. Il dut mettre alors Boutteville et Guitaut dans la confidence : « Si je vous envoyé les complimens de Mlle d’Ostrade (Hoogstraeten), c’est que je seray d’accord avec le cardinal ; vous marcherez de Rocroy sur Charleville. Si je vous envoyé les complimens de la princesse de Barbançon, c’est que tout est rompu ; vous mènerez vos troupes au rendez-vous de l’armée. »

C’est la princesse de Barbançon qui fit saluer M. de Guitaut[3]. Hocquincourt avait consommé sa défection ; Hesdin était livré à M. le Prince.

À ce moment même, d’Auteuil, ayant enfin accompli son voyage de Rocroy, rentrait en France sans rien savoir et demandait

  1. Cette croix désigne M. de La Croisette, qui dans toute cette négociation était l’agent du duc de Longueville auprès de Mazarin. — Robert Le Blanc de La Croisette, gentilhomme de la maison du duc de Longueville, arait été installé comme gouverneur dans le château de Caen dès 1648.
  2. 10 janvier 1658. A. C.
  3. M. le Prince au comte de Guitaut, 28 mars 1658, et note explicative autographe de Guitaut (Archives d’Epoisses).