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sacrée du sémite nomade. C’est sous son abri qu’il exerce l’hospitalité et rend la justice. Elle servit de point de départ et de modèle à la mosquée. Sans doute l’architecture sarrasine a emprunté à l’art byzantin ses deux motifs principaux : l’arcade et la voûte, comme les Grecs ont pris la colonne d’ordre dorique aux Égyptiens ; mais elle en a fait quelque chose de nouveau sous l’inspiration de la vie nomade et du monothéisme arabe. J’ai rappelé que la première mosquée du Caire fut bâtie sur l’emplacement de la tente de son fondateur Amrou. Un grand cloître carré dont les arcades ressemblent à des tentes ouvertes, un camp de repos et de prière, avec une fontaine au milieu, le portique du fond servant de sanctuaire, voilà le modèle primitif de toutes les mosquées. Plus tard, on ajouta les minarets pour l’appel à la prière, les coupoles pour recouvrir les tombeaux des monarques et des saints. Dans la coupole, on s’inspira encore de la tente élargie et idéalisée en firmament. Dans la mosquée de Sultan Hassan, l’art, parvenu à son apogée, exprime ce principe dans toute sa puissance. Cette cour figure une tente de pierre à quatre compartimens, ouverte au sommet. Le grand jour y tombe à flots, en fortes ombres, en larges pans de lumière. Cette disposition révèle d’un seul coup la grandeur et la nudité de l’Islam en son monothéisme farouche et intransigeant.

Ce qui frappe dans la nef chrétienne et gothique, c’est le demi-jour de ses arceaux, qui prépare l’âme à l’initiation d’un profond mystère. C’est aussi l’idée trinitaire, indiquée par les trois nefs et les trois branches que forme le chœur avec le transept. Enfin la divinité y apparaît sous trois formes différentes : comme Père, comme Vierge-Mère et comme Fils ; c’est-à-dire comme Esprit pur, comme Amour infini dans la substance plastique et comme Dieu manifesté dans l’Homme-Sauveur. Nous savons par l’histoire les dangers, les confusions, les excès et les folies auxquels peut conduire cet épanouissement trinitaire de la divinité, qui livre aux idolâtries de la foule, aux blasphèmes des ignorans, à l’interprétation matérialiste des dévots étroits, à l’exploitation des clergés fanatiques et dominateurs le plus profond arcane de Dieu, de l’homme et de l’univers. Mais il faut reconnaître d’autre part que cette conception triple du Verbe divin, hiératiquement formulée par l’Égypte ancienne, humanisée, popularisée et comme attendrie par le christianisme, contient aussi, pour qui sait la comprendre et l’interpréter dans son sens universel, les principes supérieurs de la science, les rayons souverains de l’art et de la vie.

Ici, rien de pareil. Dieu impénétrable et absolu comme la lumière blanche et crue, sans réfraction prismatique. Il manque