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routes nouvelles à leurs communications. C’est ainsi que le percement de l’isthme de Corinthe lui apparut comme une suite naturelle de celui de Suez. Il en obtint la concession en 1881, et le public l’encouragea de la façon la plus significative en couvrant cinq fois la souscription au capital de 30 millions de francs.

On avait repris, à peu près exactement, le tracé de Néron, qui coupe l’isthme en ligne droite, depuis Poseidonia au Nord-Ouest jusqu’à Isthmia au Sud-Est, villes nouvelles qui se créèrent alors pour recevoir les travailleurs et dont les noms, réminiscences appropriées, rappellent et Neptune dont on allait braver les défenses et les antiques Jeux qui rapprochaient tant de peuples divers. Le relief du sol est celui de tous les isthmes : au tiers de la largeur, à peu près, une arête montagneuse à section sensiblement triangulaire, dont le sommet est à l’altitude de 80 mètres, et dont les pentes inégales, abruptes vers le golfe d’Egine, adoucies sur le versant occidental, se continuent jusqu’à la mer par des plaines alluviales, sortes de grèves formées des débris arrachés au massif central par l’éternelle oscillation des flots.

Ce massif se compose principalement de roches calcaires traversées de très nombreuses failles, témoins et souvenirs des fréquentes commotions de ce sol que soulèvent encore de temps à autre d’un coup de leurs robustes épaules les Titans antiques, impatiens de leur souterraine prison. La dureté en est variable. Quelques-unes s’exploitent sans peine au pic et à la pioche ; pour d’autres, il faut, pour les désagréger, recourir aux explosifs. — Sur la foi des puits creusés par les ingénieurs de Néron, puits qu’en plusieurs points on retrouva intacts, les parois toujours droites, on s’imagina que, la tranchée une fois faite, les talus pouvaient se tenir presque verticalement. On résolut donc de ne leur donner qu’une très faible inclinaison d’un dixième, ce qui avait l’avantage de diminuer notablement le cube à extraire. Cette considération avait d’autant plus d’importance que cette sorte de Culebra avait son point culminant à 67 mètres de haut. On donna d’ailleurs au plafond de la cuvette la même largeur qu’au canal de Suez, c’est-à-dire 22 mètres. La profondeur devait être de 8m, 50 au-dessous des plus basses mers.

De nombreux et graves mécomptes signalèrent l’exécution des travaux. Une première entreprise y succomba. Avec elle disparut le capital primitif, englouti dans ces travaux préparatoires, ces essais, ces tentatives et ces déceptions qui semblent être les inévitables dons apportés par quelque fée jalouse au berceau de ces grandes œuvres. Deux ans après le commencement des travaux, il fallut se convaincre qu’on s’y était mal pris pour attaquer ce massif central, qui était la vraie difficulté. On n’en avait fait qu’une