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peine pourraient-ils le traverser en quatre ou cinq heures peut-être plus, en déployant la même puissance motrice qui leur fait faire de 12 à 14 nœuds en pleine mer. Mais ces grands navires, réservés aux longues traversées de l’Indo-Chine et de l’Australie, ne fréquentent ni la mer des Alcyons, ni les méandres des Cyclades. Ceux de dimensions plus modestes qui touchent au Pirée, vont à Constantinople et dans la mer Noire, ont environ 60 mètres au maître-couple : ils peuvent donc franchir Corinthe, mais encore en dépensant pour aller très lentement autant que pour aller très vite en pleine mer. Enfin, le canal étant un chemin à voie unique, il faudra pour s’y engager attendre la sortie des navires venant en sens contraire. Un retard de quelques heures a de l’importance quand il s’agit d’un raccourci d’un jour et demi à peine.

Toutes ces circonstances réunies avaient conduit quelques ingénieurs à penser que l’exploitation du canal de Corinthe ne comportait pas la faculté pour les navires, tant à voile qu’à vapeur, de s’y mouvoir par leurs propres moyens. On a bien alors proposé l’installation dans le canal de Corinthe d’un touage sur chaîne immergée, comme celui que nous voyons fonctionner sur la Seine dans la traversée de Paris. Ce procédé, d’invention absolument française, est, en effet, spécialement à propos pour. vaincre les grandes résistances. Plus d’embardées non plus : dans un convoi toué, pour les éviter absolument, il suffit de croiser les remorques. On a calculé, que, dans le canal de Corinthe, un toueur disposant d’une force de traction de 12 000 kilogrammes, le double à peu près de ceux de la Seine, pourrait faire franchir les six kilomètres du canal en une heure, soit à un convoi de 10 petits navires de 1 000 à 1 200 tonneaux, soit à la fois à deux paquebots ou des Messageries ou de la Compagnie du Lloyd Austro-Hongrois, qui fréquentent cette route[1].

Tout cela est fort bien : le touage présente sur tout autre mode de traction des avantages incontestables ; mais il n’est pas sans exiger une assez forte dépense de premier établissement et d’exploitation. On comprend que la Compagnie du Canal désire se laisser convaincre par l’expérience de la nécessité de recourir à cet auxiliaire un peu coûteux. Pour le moment, l’inauguration du canal n’a été faite que par de petits bâtimens, tels que des torpilleurs et de petits yachts. Le plus grand de ces navires, le

  1. Voy. le Canal de Corinthe, communication de M. Saint-Yves, inspecteur général des ponts et chaussées en retraite, au Congrès de navigation intérieure, session de Manchester, 1890. — Voir également les observations et les réserves faites avec une sage prudence par M. le baron Quinette de Rochemont, également inspecteur général des ponts et chaussées, dans le rapport officiel des délégués du Ministère des Travaux publics à ce même congrès.