sociétés agrandies que, chose remarquable, à mesure qu’elles se démocratisent, elles sont forcées parfois de se militariser de plus en plus, de fortifier, de perfectionner, d’étendre cette corporation essentiellement hiérarchique et aristocratique, l’armée, — sans parler de l’administration, cette autre armée toujours croissante, La nation devient ainsi peu à peu une armée immense, et, par là, peut-être, elle se prépare, quand la période belliqueuse sera close, à revêtir sous forme pacifique, industrielle, scientifique, artistique, la forme corporative, à devenir un immense atelier.
Entre les deux pôles extrêmes que je viens d’indiquer, peuvent se placer certains groupes temporaires, mais recrutés suivant une règle fixe ou soumis à un règlement sommaire, tels que le jury, ou même certaines réunions habituelles de plaisir, un salon littéraire du XVIIIe siècle, la cour de Versailles, un auditoire de théâtre, qui, malgré la légèreté de leur but ou de leur intérêt commun, acceptent une étiquette rigoureuse, une hiérarchie fixe de places différentes, ou enfin certaines réunions scientifiques ou littéraires, les académies, qui sont plutôt des collections de talens co-échangistes que des faisceaux de collaborateurs. — Parmi les variétés de l’espèce-corporation, citons les conspirations et les sectes, si souvent criminelles. — Les assemblées parlementaires méritent une place à part : ce sont bien plutôt des foules, mais des foules complexes et contradictoires, des foules doubles pour ainsi dire, — comme on dit des monstres doubles, — où une majorité tumultueuse est combattue par une ou plusieurs minorités coalisées, et où, par suite et par bonheur, le mal de l’unanimité, ce grand danger des foules, est en partie neutralisé.
Mais, foule ou corporation, toutes les espèces d’association véritable ont ce caractère identique et permanent d’être produites, d’être conduites plus ou moins par un chef, apparent ou caché ; caché assez souvent quand il s’agit des foules, toujours apparent et frappant les yeux dans le cas des corporations. Dès le moment où un amas d’hommes se met à vibrer d’un même frisson, s’anime et marche à son but, on peut affirmer qu’un inspirateur ou un meneur quelconque, ou un groupe de meneurs ou d’inspirateurs parmi lesquels un seul est le ferment actif, lui a insufflé son âme, soudainement grandissante, déformée, monstrueuse, et dont lui-même est parfois le premier surpris, le premier épouvanté. De même que tout atelier a son directeur, tout couvent son supérieur, tout régiment son général, toute assemblée son président ou plutôt toute fraction d’assemblée son leader, pareillement tout salon animé a son coryphée de conversation, toute émeute son chef, toute cour son roi ou son prince ou son principicule, toute claque son chef de claque… Si un auditoire de théâtre mérite jusqu’à un