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certain point d’être regardé comme formant une sorte d’association, c’est quand il applaudit, parce qu’il suit, en le répercutant, l’impulsion d’un applaudissement initial, et, quand il écoute, parce qu’il subit la suggestion de l’auteur exprimée par la bouche de l’acteur qui parle. Partout, donc, visible ou non, règne ici la distinction du meneur et des menés, si importante en matière de responsabilité. Ce n’est pas à dire que les volontés de tous se soient annihilées devant celle d’un seul : celle-ci, — suggérée d’ailleurs, elle aussi, écho de voix extérieures ou antérieures dont elle n’est que la condensation originale, — a dû, pour s’imposer aux autres, leur faire des concessions, et les flatter pour les conduire. C’est le cas de l’orateur qui n’a garde de négliger les précautions oratoires, de l’auteur dramatique qui doit toujours se plier aux préjugés et aux goûts changeans de ses auditeurs, du leader qui doit ménager son parti, d’un Louis XIV même qui a des égards forcés pour ses courtisans.

Seulement, cela doit être entendu diversement, suivant qu’il s’agit des réunions spontanées ou des réunions organisées. Dans celles-ci, une volonté, pour être dominante, doit naître conforme, dans une certaine mesure, aux tendances, aux traditions des volontés dominées ; mais, une fois née, elle s’exécute avec une fidélité d’autant plus parfaite que l’organisation du corps est plus savante. Dans les foules, une volonté impérative n’a pas à se conformer à des traditions qui n’y existent pas, elle peut même être obéie malgré son faible accord avec les tendances de la majorité ; mais, conforme ou non, elle est toujours mal exécutée et s’altère en s’imposant. On peut affirmer que toutes les formes de l’association humaine se distinguent : 1° par la manière dont une pensée ou une volonté, entre mille, y devient dirigeante, par les conditions du concours de pensées et de volontés d’où elle sort victorieuse ; 2° par la plus ou moins grande facilité qui y est offerte à la propagation de la pensée, de la volonté dirigeante. Ce qu’on appelle l’émancipation démocratique tend à rendre accessible à tous le concours dont il s’agit, limité d’abord à certaines catégories de personnes, graduellement étendues ; mais tous les perfectionnemens de l’organisation sociale, sous forme démocratique ou aristocratique, n’importe, ont pour effet de permettre à un dessein réfléchi, cohérent, individuel, d’entrer plus pur, moins altéré, et plus profondément, par des voies plus sûres et plus courtes, dans le cerveau de tous les associés. Un chef d’émeutes ne dispose jamais complètement de ses hommes, un général presque toujours ; la direction du premier, lente et tortueuse, se réfracte en mille déviations, celle du second va vite et tout droit.