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de toutes les gildes marchandes de l’Europe »[1]. Au XIVe siècle, elle forme une fédération qui comprend plus de quatre-vingts villes et étend ses factoreries de Londres à Novogorod, Elle n’est cependant « fondée que sur le libre consentement des gildes et des villes, elle ne connaît d’autre moyen de discipline que l’exclusion, et si grande est la force corporative que la Hanse exerce néanmoins un ascendant sur toute l’Europe », dans l’intérêt majeur du commerce européen. L’anarchisme s’est propagé aussi rapidement. Vers 1880, le prince Kropotkine, son inventeur, fondait à Genève le Révolté, puis, en 1881, à Lyon, le Droit social, feuilles presque sans lecteurs. En 1882, dit M. l’avocat général Bérard[2], « quelques adeptes à Lausanne ou à Genève, deux ou trois individus isolés à Paris, un ou deux groupes à Lyon avec ramifications à Saint-Etienne, à Villefranche-sur-Saône et à Vienne, en tout une soixantaine, une centaine, si vous voulez, de personnes : c’était alors toute la légion anarchiste ». Dix ans plus tard, le 28 mai 1892, une réunion purement anarchiste a lieu à Paris, approuvant expressément Ravachol et ces complices. Il y avait 3 000 personnes, et de nombreux télégrammes avaient été envoyés de la France et de l’étranger pour s’unir de cœur à l’assemblée. « Les anarchistes sont nombreux, très nombreux, dans la classe ouvrière, » dit le chimiste M. Girard, qui a souvent affaire à eux. D’après M. Jehan-Préval[3], l’anarchisme n’est pas un simple ramassis de brigands, mais « un parti en voie de s’orga- niser, avec un but bien défini et avec l’espoir, assurément fondé, d’entraîner, à sa suite, au fur et à mesure des succès obtenus, la plus grande masse du prolétariat urbain ». Les anarchistes sont appelés par le même écrivain « les chevau-légers du socialisme ». — La propagation du nihilisme en Russie n’a pas été moins rapide. Les grands procès qui l’ont frappé en 1876 et 1877 en sont une preuve[4]. Du reste, le nihilisme et l’anarchisme n’ont de commun que l’emploi des explosifs. L’anarchisme, délire prolétaire, a rêvé de détruire toute une classe sociale ; le nihilisme, conspiration de classes supérieures de Russie, n’a jamais visé que quelques têtes. De là cette puissance extrêmement supérieure de terrorisation qui caractérise le premier ; menace constante et menace pour tous.

Entre les meilleures corporations et les plus criminelles, il y

  1. J’emprunte ces lignes à M. Prins, criminaliste belge très distingué, qui, dans son livre très instructif sur la Démocratie et le régime parlementaire (2e édition), s’étend longuement sur le régime corporatif, si florissant jadis et subsistant encore dans certaines provinces de son pays.
  2. Les Hommes et les Théories de l’anarchie, par Bérard (Archives de l’Anthropologie criminelle, n° 42).
  3. Anarchie et Nihilisme, par Jehan Préval (2e édition, 1892, Savine, éditeur).
  4. Le Socialisme allemand et le Nihilisme russe, par Bourdeau (1892).