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un mouvement commercial très marque. C’est cette concentration qui explique l’explosion des lamentations des Anglais lorsque ceux-ci apprirent que nous bloquions l’entrée du Ménam.

Le Siam exporte 200 000 tonnes de riz par an, soit en Chine, soit dans d’autres ports avoisinans. Des milliers de tonnes vont aussi en Angleterre, et comme ce sont les bateaux à vapeur de la Grande-Bretagne qui de Bankok transportent cette denrée dans toutes les directions, on comprendra certaines colères.


II.

Une frontière commune dans le haut Mékong, frontière facile à délimiter entre gouvernemens qui se respectent, aurait eu aux yeux des Asiatiques une portée qu’il est superflu sans doute d’expliquer. Ils y eussent vu une sorte d’alliance entre deux peuples souvent rivaux, mais qui n’hésitaient pas à se rapprocher dès qu’un intérêt quelconque les y conviait. où les difficultés devaient fatalement surgir entre Anglais et Français, c’est lorsqu’il s’est agi d’indiquer, sur une carte, de quel territoire serait tirée la zone neutre dont on veut faire un État, mais un État indépendant de la Chine, du Siam, de l’Angleterre et de la France. Obtiendra-t-on ce territoire de l’empire du Milieu ? On dit déjà qu’il se prépare à repousser par la force toute nouvelle amputation faite à ses frontières du Sud. Est-ce le Siam qui en ferait les frais ? Oui, si nous consentions à faire abandon de la rive gauche du haut Mékong, rive où les faits et gestes des Siamois étaient déjà, en 1876, signalés comme abusifs par la mission Doudart de Lagrée[1]. Est-ce l’Angleterre qui se dessaisira d’un lambeau de la Birmanie ? Vu l’appétit chaque jour plus grand du lion britannique, il est prudent de repousser cette hypothèse.

Ces jours-ci, M. Holt Hallett, ingénieur de grand talent et, comme M. Colquhoun, notre ardent adversaire dans l’Indo-Chine, publiait dans le Times une lettre dans laquelle il demandait que l’Etat-tampon fût absolument érigé à l’est du Mékong. En d’autres

  1. M. de Carné écrivait en 1876, à son retour de l’exploration du Mékong : « Je rappellerai seulement la lumière que les explorations de la commission lui ont permis de jeter sur l’œuvre d’absorption persévérante que la cour de Bankok poursuit dans l’Indo-Chine. Cette absorption s’opère à l’aide des embarras que les Européens ont créés à ses anciens rivaux les Annamites et les Birmans ; elle a pour conséquence de ne laisser subsister de la nationalité laotienne qu’un souvenir, et de Vien-chou, son centre principal, que des ruines amoncelées. C’est encore cette ambition si longtemps servie par la fortune, qui après avoir rejeté de la vallée du Mékong l’empereur d’Annam dont les domaines s’étendaient autrefois jusqu’au fleuve, attise aujourd’hui les haines de race et rend impossible entre les populations annamites et laotiennes la reprise des relations commerciales. »