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le comte Taaffe s’est résolu à la retraite, et François-Joseph a chargé le prince Windischgrætz de former un ministère de concentration.

Le prince Windischgrætz, petit-fils du maréchal du même nom qui bombarda Vienne en 1848, est vice-président de la Chambre des seigneurs et député à la diète en Bohême, où il possède toutes ses propriétés. Quoiqu’il ne soit nullement hostile à l’esprit moderne, ainsi que ses féodaux compatriotes les Schwarzenberg et les Lobkowitz, il n’en sera pas moins, avec ses collègues MM. de Plener et Jaworski, le chef d’un cabinet réactionnaire et centraliste, le porte-voix d’une coalition d’intérêts égoïstes qui a privé la foule de la part de droits que l’empereur voulait lui concéder.

La question en effet n’est plus entière. La présentation, puis le rejet du projet électoral vont singulièrement favoriser la propagande socialiste, et avec combien d’apparence de raison ! Les nouveaux ministres le sentent si bien qu’ils parlent, eux aussi, d’offrir aux délibérations de la Chambre une loi sur le même sujet, en créant un ou deux collèges ou curies supplémentaires de vote… les collèges des pauvres. Le moment est-il bien choisi pour ressusciter des classes, ou pour creuser plus profondément les fossés qui séparent les classes existantes ?

L’entrée en scène des socialistes devrait plutôt amener l’Autriche à faire quelques pas en avant, comme elle amène la Suisse, sa voisine, à faire quelques pas en arrière ; car les mêmes causes peuvent produire, suivant les milieux, des effets opposés. Dans les élections récentes qui viennent d’avoir lieu sur le territoire helvétique, pour le renouvellement du Conseil national, on a vu le gros du parti radical se rapprocher des libéraux du centre. Un petit nombre seulement des radicaux actuels allaient se faire battre en compagnie des candidats socialistes, qui, sur 600 000 électeurs, ne récoltaient que 30 000 suffrages. Le centre, au contraire, sortira renforcé et grandi du scrutin du 29 octobre.

Ce symptôme d’un groupement futur de la Suisse politique en deux partis, celui de la liberté et de la défense sociale et celui de la tyrannie socialiste, mérite d’autant mieux d’être noté, que les associations révolutionnaires, qui vont faire prochainement fonctionner le referendum pour lui soumettre la question du « droit au travail », déploient, dans les cantons, une remarquable et dangereuse activité.


Vte G. d’AVENEL.