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juge pouvoir faire, ne se borneraient pas à attribuer sans conteste à l’Angleterre la part, déjà fort belle, composée par tout ce qui est au sud de l’Hindou-Kouch. La domination anglaise prétendrait aller au-delà, sur le sommet du Toit du Monde. La Russie s’arrêterait à la rive droite du Pendj, grande rivière qui est la tête principale de l’Oxus : la frontière remonterait cette rive jusqu’au continent des deux rivières Pamir et Ouakhan, dont la réunion forme le Pendj et dont les deux vallées portent respectivement les noms de Grand et de Petit-Pamir : puis elle suivrait la crête séparant ces deux vallées jusqu’au point appelé Rabat-Ak-Tach, où devra probablement passer aussi la frontière chinoise, encore indécise aujourd’hui. Le Petit-Pamir tout entier, c’est-à-dire la vallée du Ouakhan, ainsi que la haute vallée de l’Ak-sou, la seconde grande branche de l’Oxus, appartiendraient à la Grande-Bretagne.

Cette proposition, très sérieusement formulée par l’Angleterre et par les défenseurs de ses intérêts, ne peut être considérée par ceux qui connaissent la topographie du pays que comme une agréable plaisanterie, une de ces plaisanteries sinistres pour ceux qui les acceptent, comme les Anglais seuls en savent émettre sérieusement, et comme seuls ils savent les soutenir avec cette unanimité supérieure à toutes les querelles de partis, qui fait leur force vis-à-vis des étrangers.

Il y a lieu d’espérer que la Russie saura y répondre connue il convient, et qu’elle ne sera pas dupe de ce jeu, comme la France l’a été si souvent depuis vingt ans, aussi bien en Afrique qu’en Asie.

Par l’application du tracé qui vient d’être indiqué, on le voit, l’Angleterre se ferait la part du lion. Non seulement elle tiendrait la ligne des crêtes, mais elle aurait même les deux versans de l’Hindou-Kouch. Elle pourrait fortifier à son aise les trois cols qui traversent cette chaîne : le col de Baroghil, le plus important de tous, clef de la position dans tout ce système de montagnes, le col de Karambar et celui de Yanali.

L’Inde aurait ainsi une frontière inexpugnable au point de vue défensif : elle pourrait utiliser de la façon la plus avantageuse les énormes chaînes de montagnes, les plus hautes du monde, qui lui constituent une ceinture complète. En même temps, au point de vue offensif, elle posséderait, dans la plaine du Petit-Pamir, une sorte de camp retranché, c’est-à-dire une admirable position stratégique, d’où elle menacerait à son gré le bassin de l’Oxus, c’est-à-dire le Turkestan russe, et le vaste bassin aralo-caspien tout entier ; car elle tiendrait les deux sources