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pot-au-feu et ne s’informe pas de ce qui se passe dans la lune. Frustrés dans leurs espérances, les politiques durent remplacer les faits par les paroles. Ils se vantèrent d’un crédit qu’ils n’avaient pas. Ils firent des manœuvres savantes devant les parlemens ébahis et quand on demandait où se cachaient leurs troupes, et quel était le terrain conquis par leurs victoires, ils étalaient des influences, bien sûrs que personne n’irait interroger un par un les habitans des pays désignés pour s’enquérir de leurs véritables sentimens. Impuissans à fonder un système sur le véritable équilibre des forces, déroutés par ces nations qui ne comprenaient rien à la grande politique, ils donnèrent le change à l’opinion en constatant, par des traités solennels, de prétendus accords qui entretenaient soigneusement toutes les causes de malentendus.

Tel fut à peu près l’état de l’Europe jusqu’aux approches de la guerre d’Italie. Les événemens qui se sont déroulés depuis lors ont été glorieux pour les uns, funestes pour les autres, selon la justesse des calculs ou le sort des armes : du moins ont-ils condamné cette politique de trompe-l’œil et déterminé des accords ou des rivalités plus conformes à la nature des choses.


III

Tandis que la vieille Europe s’épuisait en vaines combinaisons, deux États déjà respectables par leur passé, mais jeunes par l’espérance, entraient en scène et devaient modifier profondément les procédés de la diplomatie : c’est la Prusse et le Piémont. Depuis longtemps déjà, ils avaient abandonné ces manœuvres correctes qui sont le triomphe des chancelleries, pour prendre la tête du mouvement national en Allemagne et en Italie. Dès 1833, tout en accédant pour la forme à la ligue des rois contre les peuples, la Prusse jetait les fondemens de cette union douanière d’où devait sortir l’unité allemande. À la politique pompeuse des principes, elle opposait celle des résultats. Convaincue que la fusion des peuples ne se fait pas par des déclarations sonores et qu’il faut une base de granit à ces édifices toujours menacés, elle se gardait également contre l’esprit de croisade et contre l’entraînement des foules, et refusait la couronne impériale des mains du parlement de Francfort. Le Piémont, moins circonspect, se faisait battre, en 1848, à Custozza. Mais il était de l’intérêt de ce royaume de se compromettre pour la cause nationale. Trop longtemps on l’avait vu se ménager entre les partis contraires : quelquefois l’imprudence est le meilleur des