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peuplades de l’Afrique. Car enfin on chérit aussi l’indépendance au Sahara et au Dahomey. Une vraie nation n’arrive à la maturité que lorsque sa conscience, tardivement éclose, égale et remplit sa destinée. Le merveilleux n’est pas qu’un peuple se révolte et secoue ses fers : c’est qu’il entre un jour dans la pensée de ses maîtres, et qu’il s’élève à la conception d’une existence collective et des charges qu’elle comporte. Alors on peut vraiment dire qu’il a pris possession de lui-même et qu’il est apte à se gouverner.

Voilà des vérités qu’il serait bon de faire entendre même aux vieux peuples qui n’ont rien à craindre pour leur unité, si une aveugle confiance dans les inspirations du sentiment national leur faisait dédaigner les calculs de la politique et perdre la notion du pouvoir. Il suffit, pour s’en convaincre, de promener notre regard sur l’Europe nouvelle et de le ramener ensuite sur nous-mêmes.


IV

Il y a, en Europe, des rois, des gouvernemens et des peuples : il n’y a plus de cours. Le somptueux décor d’autrefois est relégué parmi les accessoires de théâtre, avec la perruque, la poudre et les has de soie. Essayez d’introduire dans une dépêche diplomatique ces expressions, si usitées jadis : la Cour de Londres, la Cour de Vienne…, vous aurez l’air d’avoir dormi cent ans. On écrit aujourd’hui : le Cabinet de Londres, le Cabinet de Vienne. Le terme même de courtisan est démodé ; il exprime une façon d’être, un trait de caractère : il n’indique pas une position sociale.

De fait, rien ne ressemble moins aux anciennes cours que l’entourage actuel d’un souverain. Des fonctionnaires respectueux et réservés, généralement fort boutonnés ; des chambellans prenant leur tour de service comme un tour de faction ; un cérémonial simplifié, qui permet aux souverains d’être des hommes et les débarrasse du fardeau pesant de la divinité ; une vie de famille calme et bourgeoise dans les petits appartenons, une représentation correcte et froide dans les grands ; des bals où l’on s’amuse par ordre, où l’on vient par curiosité et par amour-propre, où les souverains se montrent par devoir ; puis des réunions sans étiquette, ouvertes seulement à quelques rares privilégiés, tel est le ton ordinaire d’une cour à la fin du XIXe siècle. La dernière qui ait rappelé de fort loin les magnificences d’autrefois fut celle de Napoléon III. Les larges réceptions de Compiègne, où les invités étaient admis sur le pied d’une familiarité discrète ; une jeune impératrice tenant le sceptre de la beauté et de la mode, et mêlant à