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mais ce sont des hommes, et ils ont été élevés dans un milieu d’où l’urbanité est bannie. Ils ont des luttes continuelles à soutenir, des débats irritans à engager, une responsabilité souvent redoutable à préserver. On ne se doute pas, quand on a les pieds aux chenets, quels combats le porion doit soutenir pour faire réparer un boisage fléchissant sous le poids des terres qui peuvent ensevelir toute une équipe, ou plus simplement pour empêcher un ouvrier téméraire d’ouvrir sa lanterne ou de battre le briquet pour allumer sa pipe. Que des gros mots soient prononcés, que des ordres soient donnés avec vivacité, avec colère, que le « respect » pour l’ouvrier soit oublié, faut-il s’en étonner ? Il vaudrait mieux que le langage fût poli ; mais peut-être ne serait-il pas efficace.

Ces piqûres d’amour-propre ont à coup sûr, aussi bien que l’envie, exercé leur lourde influence sur la grève ; mais elles n’en ont pas été les causes déterminantes. Le terrain était préparé, mais la semence n’était pas répandue. Aux approches des élections législatives on a commencé à parler de salaires et en même temps du double livret. Ce fut le mot de ralliement. Le bruit courut dans les corons que la convention d’Arras était violée par les compagnies, que les salaires avaient diminué, et que partout la grande grève, la grève générale, internationale, allait mettre les ouvriers de tous les métiers, dans tous les pays, en mesure de faire triompher leurs « revendications ». Ces bruits étaient répandus par les agens des deux syndicats du Pas-de-Calais et du Nord, avec cette réserve, toutefois, qu’il ne s’agissait pour eux que de conquérir une augmentation de salaire en même temps qu’une meilleure distribution du travail. Bref, on affectait de ne poser que la question économique. Si, dès le début, on y avait ajouté comme corollaire la question sociale, le coup eût été manqué, les ouvriers qui ne sont pas socialistes et qui n’entendent rien à ces théories des diverses écoles, se fussent refusés à la grève. Mais dès qu’il s’agissait d’une augmentation de salaires, l’accord se faisait naturellement. Qui donc refuserait d’augmenter ses revenus ? La chose était facile, il suffisait de réélire M. Basly député, et de nommer MM. Lamendin et Moché. M. Moche est le président du syndicat des mines du Nord. Ce dernier échoua, mais les deux autres candidats furent élus à une majorité éclatante. Personne dans le pays n’en fut surpris. Ce qui eût été surprenant c’est qu’ils eussent échoué ; 44000 électeurs attendaient d’eux la manne céleste. Cette manne promise, espérée, il fallait la leur donner. Ici naissent les difficultés. La situation est-elle favorable aux prétentions nouvelles de la population minière ? Les charbons, depuis deux ans, sont en baisse