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que demande le syndical, c’est la guerre. Elle est déclarée séance tenante après de nombreux discours où sont reproduites les déclamations du dimanche précédent. On voit poindre cependant quelques oppositions. Le délégué de Dourges ne croit pas à la grève de sa mine, Carvin n’y croit guère, Vendin-Annezin pas davantage, Ferfay point du tout. La grève ne sera donc pas générale comme on l’espérait ; on saura y contraindre les récalcitrans. Et de son côté le bassin du Nord, sollicité par les circulaires de M. Moché, paraît médiocrement empressé à se mettre en mouvement. Anzin ne s’est pas ému ; Aniche chômera certainement, ainsi que l’Escarpelle, M. Moché en répond. Il répond aussi de la « Bastille du Nord » si les ouvriers du Pas-de-Calais veulent avec lui livrer l’assaut. La Bastille du Nord c’est Anzin. Sur ces paroles téméraires et sur les encouragemens venus de Belgique et d’Angleterre, la grève du Pas-de-Calais est votée par 81 voix contre 11. Il y a unanimité chez les délégués cabaretiers. Trois jours après, le 17, la grève est déclarée aussi dans le Nord ; l’Escarpelle et Aniche s’y laissent prendre. Anzin sommeille toujours ; on le réveillera. Le dessein de forcer la main aux dissidens, d’exercer la violence pour obliger les ouvriers à cesser le travail, apparaît dans tous les discours, dans les écrits, dans les circulaires, mais toujours avec cette précaution oratoire, quand c’est le syndical qui parle, de bien indiquer que les compagnies seules ont voulu et fomenté la grève. C’était leur intérêt ; elles avaient des stocks énormes à écouler, et la cessation du travail devait entraîner une hausse qui remplirait d’argent les caisses des compagnies et de satisfaction le cœur des actionnaires. Ces exploiteurs, les pieds au feu, tranquillement, sans rien faire, ont vu leurs actions parties de 300 francs, monter en moins d’un demi-siècle à 28 000 francs et même à 40 000 francs. Ce sera tout à l’heure dans la bouche des « conférenciers » une source de comparaisons menaçantes entre « l’exploiteur » et « l’ouvrier », de rapprochemens redoutables entre ; le capital et le travail. Les plus hardis, quand on les fera venir de Paris, en déduiront bientôt cette conséquence naturelle que, pour établir l’harmonie, il faut dérober le bien d’autrui.

Cependant le gouvernement avisé a pris ses précautions ; la grève doit commencer le 10, à heure fixe ; il a envoyé ses gendarmes. Et comme on a crié par-dessus les toits que le Pas-de-Calais allait fondre sur le Nord, que l’armée de la grève allait livrer l’assaut à Anzin, le pouvoir exécutif ajoute à ses gendarmes quelques compagnies de fantassins et quelques escadrons de cavalerie. De Douai, il expédie même des artilleurs, mais sans canons. Quand les grévistes les plus audacieux viennent pour entourer les puits, ils les trouvent gardés ; quand les meneurs qui