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restait pas ouverte, mais un rideau s’ouvrait et se fermail suivant les nécessités de l’action.

Les principaux personnages, représentant précisément « l’action », se rendaient à travers la place d’un tréteau à l’autre ; le rideau s’ouvrait et le dialogue s’établissait de la place au tréteau. Les rois, les anges, Dieu dominaient toujours ainsi le reste des personnages, exemple : « Ici ils prennent Jésus et le conduisent en grande hâte à Hérode, et l’échafaud d’Hérode s’ouvrira, et l’on verra Hérode sur son trône, tous les Juifs étant à genoux, excepté Anne et Caïphe. » Chaucer parle ; des « tréteaux élevés » sur lesquels son clerc Absalon jouait Hérode ; le tétrarque en effet trônait toujours au-dessus de la multitude.

Les arrangemens adoptés en Angleterre étaient, comme on voit, à peu près les mêmes que ceux de France, et cela est naturel, puisque le goût de ces drames avait été importé par les Normands. Pas plus dans l’un que dans l’autre pays, il n’y eut jamais de ces maisons à six étages décrites par les frères Parfait, dont chaque étage figurait un lieu différent. Il faudrait se représenter au contraire ces fameuses maisons couchées par terre, avec leurs compartimens répartis autour de la place. Il existe du reste d’anciennes peintures donnant une idée fort précise de la manière dont les choses se passaient. Une ravissante miniature de Jean Fouquet, conservée à Chantilly, a pour sujet une représentation dramatique de la vie de sainte Apolline. L’action principale, jouée par la sainte et les bourreaux, se passe à terre, sur la place publique. Tout autour sont disposés des tréteaux composés d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage qu’un rideau peut fermer. Une de ces sortes de loges figure le Paradis, et des anges, les liras croisés, tranquillement assis sur leur escalier, attendent leur tour de parole ; une autre est remplie de musiciens jouant de l’orgue, de la trompette, etc. ; une troisième contient, le trône du prince ; le trône est vide, car le prince, Julien l’Apostat, un sceptre fleur-delisé à la main, vient de descendre par une échelle pour prendre part à l’action principale. L’enfer a la forme d’une gueule énorme s’ouvrant et se fermant ; elle est posée à terre, pour la facilité des démons, qui avaient constamment à intervenir dans le drame et qui avaient de plus pour fonctions de maintenir l’entrain de la foule, en se répandant subitement parmi elle, hideux, velus, hurlans, faisant des cris et contorsions, « avecques grande terreur des petits enfans », disait Rabelais qui, comme Chaucer deux cents ans plus tôt, avait souvent assisté à ces drames. La miniature représente plusieurs de ces démons aux pieds fourchus sortis de leur enfer ; on y voit aussi un bouffon qui, pendant le