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martyre même de la sainte, amuse les spectateurs et marque son mépris pour la chrétienne de la façon décrite par Jean de Salisbury dès le XIIe siècle, en montrant sa personne d’une manière quam erubescat videre vel cynicus.

Aux loges ou « establies » réservées aux acteurs sont mêlées d’autres loges construites pour les spectateurs d’importance ou les mieux payans. Ce mélange eût jeté nos esprits dans un certain désarroi ; mais alors on n’était guère exigeant et on avait l’illusion facile. Du reste ces spectateurs seigneuriaux, richement vêtus, étaient eux-mêmes un spectacle ; on s’habitua si bien à eux que nous les retrouverons assis sur le théâtre de Shakspeare comme sur le théâtre de Corneille et de Molière.


:J’étais sur le théâtre en humeur d’écouter…


dit l’Eraste des Fâcheux. Au temps de Shakspeare, l’usage était plus contraire encore à l’illusion ; non seulement il y avait des seigneurs sur les côtés de la scène, mais il y en avait même dans le fond, occupant une vaste loge qui faisait face au parterre.

Les costumes étaient riches ; c’est ce qu’on en peut dire de mieux. Les saints se mettaient autour du menton des barbes d’or frisé ; Dieu le Père était habillé en pape ou en évêque. La foule était peu difficile, et pour cause, sur l’exactitude historique ; tout ce qu’il lui fallait c’était des signes. Les chapes et les tiares étaient à ses yeux les signes religieux par excellence, et sous cet accoutrement elle reconnaissait Dieu sans hésiter. Le turban, coiffure sarrasine, Mahomet objet de la vénération des infidèles, lui étaient connus et étaient à ses yeux le signe caractéristique de l’impiété. Aussi Hérode était-il coiffé d’un turban et jurait-il prématurément par Mahomet. L’habitude des symboles rendait facile l’interprétation de ces signes, et l’usage s’en perpétua. Les peintres de la Renaissance représentent saint Etienne avec une pierre, saint Paul avec une épée, signes et symboles qui évoquaient tout le drame du martyre dans l’esprit des hommes de bonne volonté.

Les auteurs de mystères ne se préoccupaient guère, comme on peut croire, de la règle des unités. Le mystère français du Vieux Testament ne s’accomplit pas en un jour ; il occupe exactement quarante siècles. Les localités les plus lointaines étaient représentées autour de la place, Rome, Jérusalem, Marseille ; les « establies » ou échafauds, serrés les uns contre les autres, ne donnaient pas l’idée de ces grandes distances : l’imagination des spectateurs devait suppléer à tout ; quelques toises de terrain représentaient