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La subalternisation du capital est, par excellence, le grand principe coopératif. On renverse les termes et les situations entre le capital et le travail. Aujourd’hui c’est le capital qui loue le travail, le paye au prix du marché et garde tout le résultat net, c’est-à-dire tous les profits ou subit toutes les pertes. Dans le système coopératif, ce serait le travail qui louerait le capital, le paierait au prix du marché et garderait tous les profits. Sur un point seulement, la situation ne serait pas modifiée, et les coopérateurs négligent de s’en occuper ; le capital subirait toujours toutes les pertes, sans avoir aucun moyen de les prévenir, puisqu’il n’aurait plus la direction, et sans jouir de la perspective d’une large compensation pour ce risque de perte, puisqu’il ne toucherait plus de profits et n’encaisserait qu’un salaire, c’est-à-dire une rémunération fixe.

La transformation du capital en salarié est l’un des buts, tant particuliers que généraux, qui figurent le plus habituellement dans les programmes des coopérateurs, surtout récens. L’historien de la coopération, M. Holyoake, s’exprime ainsi : « Les ouvriers qui ont l’intention de constituer une fabrique coopérative épargnent d’abord, accumulent ou souscrivent tout le capital qu’ils peuvent comme garantie pour les capitalistes desquels ils peuvent avoir besoin d’emprunter davantage, si leur propre capital est insuffisant… Ils louent ou achètent ou bâtissent les locaux ; ils engagent et rémunèrent des directeurs, ingénieurs, dessinateurs, architectes, comptables et tous les employés (officers) nécessaires, aux traitemens ordinaires que ces personnes peuvent obtenir (command) sur le marché d’après leurs capacités. Chaque ouvrier reçoit des salaires (wages) de la même façon. S’ils ont besoin de capital en plus du leur propre, ils l’empruntent au taux du marché en tenant compte des risques de l’entreprise, — le capital souscrit par leurs propres membres étant payé de la même façon. Les loyers, matières premières, traitemens, salaires, et toutes les autres dépenses de toute sorte de l’affaire, ainsi que l’intérêt du capital forment les frais annuels de l’entreprise. Tout gain au-delà est du profit, lequel doit être réparti entre les employés, les ouvriers et les cliens, en raison des salaires et des services[1]. »

Cette formule nous paraît décrire exactement la coopération pure. Le but véritable du système n’est pas de remplacer un capitaliste unique ou quelques capitalistes associés par un grand nombre d’ouvriers capitalistes coopérant à la même affaire. Beaucoup de gens s’y méprennent et croient que l’organisation qui répartit les profits d’une entreprise entre dix, vingt ou cent ouvriers constitue

  1. Holyoake, History of the Co-operation, vol. II, pp. 123-124.