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expérience des cours : ils traçaient leurs caricatures par à peu près. Ils n’étaient pas non plus fort instruits ; les anachronismes et les bévues pullulent sous leur plume : pendant qu’Hérode sacrifie à Mahomet, Noé invoque la Sainte Vierge, et les bergers de Noël jurent par la mort du Christ dont on ne leur annoncera la naissance qu’à la fin de la pièce.

La psychologie de ces drames est très sommaire, surtout lorsqu’il s’agit de personnages d’un certain rang et de sentimens un peu raffinés. Les auteurs de mystères parlent alors à l’aventure et décrivent par ouï-dire ; ils n’ont vu leurs modèles que de loin et ne sont pas familiers avec eux. Ont-ils à nous faire comprendre par suite de quels reviremens la jeune Marie-Madeleine, vertueuse autant que belle, se résout à commettre son premier péché, ils s’y prennent fort simplement. Un « galant » la rencontre et lui déclare soudain qu’il la trouve jolie et qu’il l’aime. « Comment, Monsieur, dit-elle, me prenez-vous pour une… ? » — Oh ! pas du tout répond l’autre, mais vous êtes si jolie… si nous dansions ensemble ? .. nous prenions du pain trempé ?… Marie ne peut résister à ces preuves de tendresse. « Je suis bien aise que nous nous soyons rencontrés, m’amour… Je commence à vous aimer… Je suis à vous pour la vie. » Clarisse Harlowe y mettra plus de formes et plus de temps ; ici vingt-cinq vers ont suffi.

Mais la vérité est serrée de plus près lorsque les auteurs parlent de choses qui leur étaient familières et décrivent les pauvres diables parmi lesquels ils vivaient. C’est là, au point de vue littéraire, le grand mérite des mystères : on y trouve les premières scènes de vraie comédie que compte l’histoire du théâtre anglais.

Bien entendu cette comédie est la plupart du temps bouffonne : en tout on allait aux extrêmes. Certaines scènes joyeuses étaient aussi célèbres que les vantardises d’Hérode : elles ont fait pendant des siècles les délices de la vieille Angleterre. Les scènes de mari à femme, Noé et sa femme, Pilate et sa femme, Joseph et Marie, cette dernière scène fort scandaleuse, étaient extrêmement populaires. Dans toutes les collections de mystères anglais la femme de Noé estime mégère non apprivoisée, qui refuse d’entrer dans l’arche. Dans la collection d’York, Noé recevant de Dieu l’ordre de construire l’arche s’étonne un peu d’abord : « Ah ! Mon bon Seigneur, je suis bien vieux ! » Il se résout cependant ; les pluies commencent, il faut partir. Noé appelle sa femme ; elle ne vient pas : entrer dans l’arche ! elle voulait justement se rendre à la ville ; elle ordonne même à ses enfans d’aller s’habiller, sans se soucier autrement du Déluge. Noé lui fait observer qu’il a déjà plu énormément et que son projet de promenade est fort imprudent.