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— Laissez-moi l’embrasser et soulever la couverture. Que diable est ceci ? Il a un long museau !

Et la ruse est découverte : c’était le mouton. Les gros mots pleuvent et des mots on allait passer aux coups, quand soudainement parmi les étoiles du ciel éclate dans la nuit le chant des anges. Gloire à Dieu, paix à la terre ! le monde rajeuni se renouvelle… Les colères s’effacent, les haines s’oublient et les rudes bergers d’Angleterre prennent tout recueillis le chemin de Bethléem.


IV

Le XIVe siècle vit l’épanouissement du drame religieux en Angleterre, le XVe sa décadence et le XVIe sa mort. La forme sous laquelle il plut davantage fut la forme des mystères où la Bible était racontée en dialogues. La mise en drames de la vie des saints et des miracles de la Vierge fut beaucoup moins goûtée en Angleterre qu’en France ; il ne reste que peu de pièces anglaises de cette catégorie, tandis que, dans notre pays, elles étaient innombrables et on en possède des recueils énormes ; la Bible est la source par excellence où les dramaturges anglais allèrent puiser.

On a vu du reste qu’ils ne se gênaient guère pour y ajouter des scènes et des personnages qui n’ont rien d’évangélique. Ces scènes contribuèrent, avec les « interludes » et les dialogues facétieux en faveur chez les grands, à la formation de la comédie. Celle-ci se détache peu à peu de ses lieux d’origine, et on la trouvera à l’état libre au temps de la Renaissance.

Vers la même époque devait fleurir un genre dramatique dont l’origine remontait au XIVe siècle : les moralités. C’était la transformation en drames des traités pieux et des recueils de bons conseils, comme les mystères étaient la dramatisation des livres saints. On faisait dans ces pièces de la psychologie à outrance ; les individus disparaissaient, remplacés par des abstractions et représentés par leur qualité dominante ; vertus et défauts se livraient bataille et se disputaient la conduite d’Humanité assise comme Hercule, « entre un double chemin ». Ainsi se manifestait jusque sur les planches la passion du moyen âge pour les allégories et les symboles. Le Roman de la Rose en France, les Visions de Langland en Angleterre, l’immense popularité de la Consolation philosophique de Boèce dans toute l’Europe, avaient été déjà des manifestations de ces mêmes tendances. En introduisant dans son recueil de contes l’histoire en prose de Mélibée et de Prudence, découpée en dialogue, Chaucer approcha de fort