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tinguait pas le scintillement des étoiles. Et, pensant à Mme d’Égly, j’admirais l’harmonie qui semblait exister entre sa personne extérieure et ce que je venais d’entrevoir de sa nature intime.

Cinq jours plus tard, je rentrais en France, et déjà le souvenir de ma compagne de Palerme n’était plus dans mon esprit qu’une vision presque efîacée, à peine plus distincte que le souvenir d’un rêve.

II

Au mois de novembre, je la retrouvai à Paris. Elle habitait le deuxième étage d’un hôtel isolé, rue Rembrandt, aux environs du parc Monceau. Elle vivait là, seule avec son enfant.

De temps à autre, à de très longs intervalles, son mari apparaissait. Il demeurait deux, trois jours, puis repartait pour Monte-Carlo, pour Luchon, pour Spa, pour un de ces lieux où le plaisir est facile et dure toujours. J’eus bientôt la clé de cette singulière organisation de vie conjugale. À quelques propos de cercle et de salon, je compris qu’entre Mme d’Égly et son mari ne subsistait plus qu’un lien de convenance tout extérieur. Leurs rapprochemens intermittens s’expliquaient, pour elle, par le désir de maintenir aux yeux du monde, et dans l’intérêt de sa fille, une dernière apparence d’union matrimoniale, — pour lui, par les avantages d’ordre très positif qu’il retirait de cette combinaison. Le voyage de Mme d’Égly en Italie avait facilité l’établissement de ces rapports entre les époux, en y servant d’abord de prétexte.

Orpheline depuis l’enfance, élevée par une tante, vieille fille sèche et dévote qui était morte peu de temps après l’avoir si habilement fiancée, Mme d’Égly n’avait plus de famille directe. Ses beaux-parens, qui s’étaient pris de tendresse pour elle, avaient redoublé d’attentions à son égard depuis le triste et banal roman de son ménage, comme pour témoigner que, séparée moralement de leur fils, elle restait sans tort et sans reproche. Mais, âgés tous deux, demeurant la majeure partie de l’année au fond de la Sologne, leur affection était, pour leur belle-fille, de plus de ressource que leur société.

À part deux amitiés de femme et un très petit nombre de relations, Mme d’Égly vivait donc dans une grande solitude. Rien pourtant ne lui aurait été plus aisé que d’aller dans le monde : elle y avait été attirée, elle y eût brillé ; son nom, sa grâce, sa fortune, son indépendance, c’était plus qu’il n’en fallait pour faire d’elle une des préférées, une des élues des salons parisiens. Elle avait décliné d’abord les invitations, puis le monde oublie si facilement qui ne le recherche pas, qu’elle n’eut bientôt plus à s’en écarter. Elle acceptait avec une gaîté courageuse cette réclusion, y mettant la fierté