tête si fine ; on devinait sous les flocons de batiste de son peignoir
la souplesse de ses formes jeunes et libres ; enfin le radieux sourire
qui éclairait son visage répandait sur tout son être quelque chose
de joyeux, de juvénile et de délicieusement florissant. Le charme
inattendu de cette apparition, si différente de l’amie attristée que
je croyais trouver, me fit d’abord oublier la pensée qui avait inspiré
ma visite. Quand je m’en souvins, il était trop tard. Comme si notre
dernier entretien lui eût soulagé le cœur, Mme d’Égly se montrait
en effet d’une animation affectueuse, d’une gaîté légère et communicative,
où toute dissonance de ma part eût semblé brutale et
dont j’aurais été vraiment cruel de la désabuser. Après deux tentatives
pour m’en aller, je finis par rester une grande heure auprès
d’elle, si bien que, tout au contraire de ce que je m’étais proposé,
je la laissai ravie de cette entrevue matinale comme d’une familiarité
nouvelle introduite dans notre amitié.
Je n’avais pas mis le pied dans la rue, que j’éprouvais contre moi-même un vif dépit de ma fausse manœuvre. À notre rencontre suivante, l’occasion ne me parut pas plus favorable, et j’en attendis une meilleure. Puis, les jours passant, je me demandais si je ne m’étais pas alarmé trop tôt. Y avait-il donc péril en la demeure ? Ne serais-je pas toujours maître d’agir au premier symptôme grave ? Enfin, assoupi dans mes inquiétudes par le charme même de la situation qui se prolongeait, je m’en remis aux événemens imprévus, aux séparations nécessaires de l’été qui approchait, en un mot, au plus perfide des auxiliaires, — le hasard.
Tandis que je restais ainsi inactif, les sentimens de mon amie suivaient leur développement logique.
Elle se montrait chaque jour plus expansive et plus affectueuse. Tout, dans sa personne, dans ses yeux, dans les inflexions de sa voix, dans ses gestes et ses poses, semblait demander qu’on l’enveloppât de tendresse. Elle m’accueillait avec de câlines effusions, se tenait plus près de moi, s’attardait aux moindres contacts, et quand, pour lui dire adieu, je lui baisais la main, je sentais qu’elle me l’appuyait aux lèvres. Mais elle faisait cela sans langueur comme sans pruderie, n’y goûtant qu’un plaisir très pur et très honnête, gardant jusque dans ses façons les plus caressantes une pudeur absolue, et révélant par l’ingénuité même de ses abandons l’ignorance où sa courte expérience du mariage l’avait laissée de tout un côté de l’amour.
Et c’était pour moi une impression nouvelle aussi et savoureuse que celle d’une volupté si naïve, si fraîche et si chastement émue.
Cependant la fin d’avril était venue. Un soir, accoudés à la fenêtre de son salon, nous respirions les senteurs végétales qu’un souffle d’air tiède nous apportait du parc Monceau comme une