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encore celles qu’il daignait marier ! Mais il y en avait d’autres qui jamais n’ont pu voir en lui qu’un monstre acharné à les faire souffrir : la reine Louise de Prusse, par exemple, la reine Louise d’Espagne, et cette reine d’Etrurie, Marie-Louise de Bourbon, qui, du jour au lendemain, se trouva chassée de son royaume, chassée du royaume de son père, séparée de son fils, enfermée dans un couvent, tout cela sans autre motif que le désir de Napoléon de régner à sa place.

Un érudit italien, M. Giovanni Sforza, vient précisément de raconter la vie et les aventures de cette malheureuse princesse, dans une série d’articles de la Nuova Antologia. Je vais essayer de résumer en quelques pages le long récit qu’il en a fait. La plupart des documens dont il s’est servi sont, je crois, inédits : en tout cas, c’est là un coin de l’histoire du premier Empire dont nos historiens ne se sont guère occupés : et puis vous savez que les relations de Napoléon avec les femmes sont, par le temps qui court, le sujet à la mode.


II

L’infante Marie-Louise était, née le 6 juillet 1782, tandis que son père, le futur roi d’Espagne Charles IV, n’était encore que prince des Asturies. Sa mère était cette reine Louise qui, plus tard, eut elle-même si fort à souffrir de la mauvaise humeur de Napoléon. Elle ne semble pas avoir eu une enfance bien heureuse : dans les sombres et mornes appartemens de l’Escurial elle fut élevée un peu au hasard, sa mère n’ayant déjà plus de pensées que pour son amant Manuel Godoy, un bellâtre d’opérette, le meilleur joueur de guitare, mais aussi l’homme le plus lâche et le plus stupide de toutes les Espagnes.

La petite Marie-Louise avait à peine douze ans, en 1794, lorsque ses parens reçurent la visite du prince héritier de Parme, Louis de Bourbon. Il était fils du frère de la reine d’Espagne : et il venait à Madrid pour épouser une de ses cousines, Marie-Amélie, plus âgée de deux ans que sa sœur Marie-Louise. Mais le jeune prince, sitôt armé, déclara que l’infante Marie-Amélie ne lui plaisait pas. La petite Marie-Louise, au contraire, lui parut charmante ; et Manuel Godoy, à qui il le dit, s’empressa de la lui offrir. Le mariage eut lieu à Saint-Ildefonse, le 25 août 1795. Marie-Amélie, désolée, se maria quelques mois après avec un parent pauvre, le vieil infant Antoine Pasquale : mais la préférence donnée à sa petite sœur lui était un souvenir trop pénible : la troisième année de son mariage, elle mourut de chagrin.

Le jeune Louis aurait bien voulu revenir à Parme : il y avait commencé un grand travail qui l’occupait tout entier, une description détaillée de la flore de Parme, de Plaisance et de Guastalla. Ce jeune prince était en effet un botaniste passionné. C’était, pour le reste, un