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front, par l’interminable route sibérienne, à travers les montagnes de la Sibérie orientale et les steppes de la Sibérie occidentale. Pour aller, il avait suivi un itinéraire tout autre ; la route de mer, passant par Suez, faisant tout le tour du massif continental asiatique, de la Méditerranée et de la Mer-Rouge au nord de la mer du Japon. Après une visite à l’Egypte, il a ainsi effectué le périple de l’Asie, et sur son chemin, il a rencontré toutes les grandes races et les grandes civilisations de cette vieille mère Asie. C’est à Trieste, sur une frégate russe, que s’est embarqué le tsarévitch pour son grand voyage d’instruction à travers l’Orient et l’Extrême-Orient, sous la direction du général prince Nad.-Anat. Baratinsky. Un aquarelliste de talent, M. N. Grilsenko, élève de Bogoloubof, accompagnait l’expédition. La traduction faite par M. Louis Léger du journal rédigé par le prince Oukhtomsky ne peut manquer de trouver la plus grande faveur en France. À côté du compte rendu d’orientales réceptions, la plus grande partie du cadre est remplie par des scènes de mœurs, de vivans tableaux des plus vieilles contrées et des plus anciennes races du globe.

Et puisque ici nous sommes en Extrême-Orient, ne quittons pas la Chine sans parler d’une des industries les plus parfaites de l’art chinois qui a été étudié avec une connaissance approfondie par M. Grandidier. Quand on regarde les vases anciens provenant de Chine aujourd’hui partout répandus, et où la fantaisie la plus originale semble seule s’être donné carrière, on ne soupçonne pas que chacune de ces scènes si vivantes et si bien rendues se rattache à une date précise de l’histoire avec ses coutumes et les rites particuliers de la religion autochtone. Qu’il s’agisse des origines au temps des Song ou des Youen (926 à 1368) où la céramique au décor sobre est encore dans l’enfance, et garde l’empreinte des doigts du potier des Ming (1368-1620), — l’époque classique par excellence, — de l’époque Khang-Hi (1662-1723), de l’époque Kien-Kong (1736-1796), l’art céramique chinois porte témoignage de tout le passé et raconte les usages les plus caractéristiques de cette civilisation qui remonte si loin. Quoi de plus intéressant que d’en suivre les développemens, avec les plus riches modèles sous les yeux, dans le splendide volume sur la céramique chinoise[1] que vient de publier la maison Didot ? On ne peut rien voir de plus soigné comme exécution et comme reproduction donnant l’impression même de l’objet que les héliogravures par M. Dujardin des cent quatre-vingts pièces de la célèbre collection de M. Ernest Grandidier, l’auteur de ce travail, fruit d’une expérience consommée et de nombreuses recherches. Sans doute on savait que la porcelaine est originaire de la Chine, et que les potiers du Céleste Empire avaient été pendant des siècles les artistes les plus habiles pour lesquels l’art décoratif n’avait pas de secret ; mais on n’avait

  1. La Céramique chinoise, par E. Grandidier. 1 vol. gr. in-8o, illustré de 42 héliogravures par M. Dujardin.