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teurs qui, de 1889 à 1893, sont passés de la droite à la gauche ; qui, de vaincus des précédens scrutins, sont devenus les vainqueurs dans celui-ci, en fondant avec d’anciens adversaires ce parti des « républicains de gouvernement » auquel sa force numérique assure pour quelque temps la suprématie dans le Parlement… s’il sait s’en servir. Au XVIIe siècle, les soldats prisonniers étaient incorporés dans les rangs de l’armée ennemie, et y servaient le lendemain avec la même conviction qu’ils faisaient la veille sous le drapeau contraire ; chose, aux yeux des contemporains, fort raisonnable, puisque ces « gens de guerre » exerçaient une profession et que leur destinée était de se battre pour ou contre n’importe qui. Les électeurs conservateurs, dont le droit était de voter pour ou contre n’importe qui, au mieux de ce qu’ils croyaient être l’intérêt présent de la France, ont imité de leur plein gré ces prisonniers des guerres d’autrefois ; c’est à leur seul enrôlement dans une des troupes en présence que celle-ci doit aujourd’hui le pouvoir.

M. Clemenceau aura beau dire que le nouveau ministère est le prisonnier du pape ; que Léon XIII a mis la main sur la République française, et que « le fameux cri de guerre : Le cléricalisme c’est l’ennemi ! expire sur les lèvres de nos hommes d’État repentans », cela signifie simplement que, si les nouveaux ministres sont, sans exception, des républicains éprouvés, ils ne sont pas, ou ils ne sont plus sectaires, et qu’ils ne voient pas au nom de quel principe ils repousseraient les catholiques qui viennent à eux. Il n’est pas jusqu’à l’appui de la droite, si souvent accepté ou sollicité par les radicaux, si souvent prêté par celle-là, hélas ! à son plus grand préjudice, durant les quinze années qui viennent de s’écouler, dont le parti avancé ne veuille faire au gouvernement un crime de lèse-république.

Aussi bien l’appui de la droite est-il aujourd’hui rationnel, également honorable pour les députés conservateurs qui le donnent sans l’avoir promis, et pour le Cabinet qui le reçoit sans l’avoir marchandé. Voudrait-on peut-être qu’il le repoussât ? Et s’il plaît au pape d’être républicain, et à la droite d’être ministérielle, M. Maret prétend-il les en empêcher ?

Le 1er décembre, au moment où l’on ne s’y attendait plus, M. Casimir Perier, auquel M. Carnot avait envoyé plusieurs jours de suite tous les députés de sa connaissance pour insister auprès de lui, afin qu’il acceptât le mandat de former un cabinet, s’est enfin décidé à descendre du fauteuil présidentiel de la Chambre des députés, pour se mettre en quête de neuf personnes prêtes à accepter un portefeuille dans la combinaison dont il serait le chef. M. Casimir Périer était l’élu de la Chambre ; sur son nom la majorité venait d’émettre un vote clair et décisif. En même temps qu’un hommage, c’était là une désignation officielle à laquelle le patriotisme du député de l’Aube ne pouvait lui permettre plus longtemps de se dérober. En effet, aussitôt qu’il eut accepté, la