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constitution du ministère, qui jusque-là semblait assez laborieuse, au point que M. Spuller, malgré les sympathies personnelles dont jouit ce fin lettré, avait mis cinq jours à recruter trois ministres y compris lui-même, devint si aisée qu’en moins de vingt-quatre heures elle fut achevée, et que l’acte de naissance du Cabinet, publié au Journal officiel du 3 courant, eut dû porter la date du 2 décembre si, par une innocente supercherie, on ne l’eût post-daté du lendemain, pour éviter dus rapprochemens historiques que les secrétaires d’État actuels n’avaient pourtant pas à redouter.

La crise s’est donc terminée à l’honneur de chacun de ceux qui y jouaient un rôle, y compris M. le Président de la République. On reprochait à M. Carnot d’être demeuré fidèle au système de la concentration, comme si l’union, lorsqu’elle n’est qu’apparente et superficielle, ne faisait pas tout justement le contraire de la force. — Il semble effectivement acquis que, si le ministère Dupuy s’était présenté intact devant la Chambre nouvelle, c’est que le chef de l’État avait refusé de demander à certains de ses membres d’abandonner leur portefeuille. — Qu’il se soit trompé en cette occurrence ou qu’il ait témoigné quelque excès de tendresse pour un système désormais condamné, il convient de reconnaître toutefois que M. Carnot n’ourdit aucune intrigue, qu’il ne commit par conséquent aucune trahison ; et c’est aller un peu loin peut-être que de juger, comme certains virtuoses d’opposition irréconciliable, ses tergiversations dignes… d’une peine capitale.

M. Casimir Perier, prenant en main la direction des affaires pour soutenir la politique qui répond à ses propres idées et au sentiment de la majorité de la Chambre, s’est entouré de collaborateurs, qui, venus de points divers, se sont rencontrés et loyalement mis d’accord sur ce qu’il est à la fois utile et possible de faire. S’il est vrai qu’il n’y ait pas deux feuilles tout à fait pareilles dans le même arbre, il ne l’est pas moins qu’il n’y a pas deux députés, et partant deux ministres, qui pensent exactement de même sur toutes les questions ; aussi l’homogénéité que nous souhaitons parmi les membres du gouvernement n’est-elle pas l’uniformité des différens exemplaires d’un même livre : MM. Burdeau et Antonin Dubost, ministres des Finances et de la Justice, constituent l’aile gauche du nouveau Cabinet ; ils siègent sur les confins de l’union républicaine. MM. Spuller et Raynal, ministres de l’Instruction publique et de l’Intérieur, deux anciens collaborateurs intimes de Gambetta, correspondent au centre ; l’aile droite est représentée par MM. Casimir Perier, qui s’est réservé les Affaires étrangères, et Jonnart, l’un des membres les plus éloquens et les plus distingués de la Chambre, placé à la tête des Travaux publics.

Quant au ministère de la Guerre, ce n’est pas sans plaisir que les partisans de la liberté de conscience ont vu le général Mercier y remplacer l’ancien titulaire. L’attitude du général Loizillon, lors de l’interpellation