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publiquement ou en secret, savent un gré infini aux pairs d’avoir déchiré le home rule bill. Voilà pourquoi l’éloquente parole de M. Gladstone n’a pas eu d’écho. Quant à la Chambre des lords, comme tous les pouvoirs menacés en vain, elle a grandi ; on serait tenté de croire qu’elle commence une phase nouvelle de sa longue existence.


III

Donc ce discours qui sonnait la charge aux bourgeois d’Edimbourg et qui devait retentir aux oreilles de la Chambre héréditaire comme la trompette de Jéricho, ce terrible discours est tombé à plat. Ramassons-le, relisons-le, cherchons ce que valent et la leçon d’histoire et la leçon de droit.

D’abord il y a une omission vraiment extraordinaire que personne, à ma connaissance, n’a relevée, une défaillance de mémoire que je vous prie de ne pas attribuer aux quatre-vingt-quatre ans de l’orateur. Il n’a pas dit un mot d’un conflit entre les deux Chambres qui a eu lieu il y a vingt et un ans, alorsqu’il était, pour la première fois, à la tête du ministère : conflit mémorable par sa durée, par son acuité, par l’effet qu’il a produit sur l’opinion publique, et par le dénouement sans analogue que M. Gladstone osa lui donner. Il s’agissait d’abolir cette chose d’ancien régime, la vénalité des grades militaires. Nous sommes, depuis cent ans, débarrassés de cette anomalie, et c’est une conquête effective de la démocratie française. Cette mesure ne devait et ne pouvait avoir, en Angleterre, qu’un effet moral et purement platonique. Après comme avant le Purchase bill, l’année n’appartient qu’à une seule classe ; elle demeure l’abrégé, l’image d’une société aristocratique. C’était à prévoir, et pourtant le public s’était engoué de la réforme proposée comme il s’engouera de tout acte de justice, même lorsqu’il doit rester stérile. La loi étant votée par les communes, les lords se portèrent à la défense du privilège menacé, mais d’une façon quelque peu hypocrite et sournoise. Ils ne vinrent pas soutenir qu’il est beau d’acheter ou de vendre une compagnie, de coter un régiment à la bourse, comme une mine ou un chemin de fer ; mais ils prétendirent que le gouvernement n’avait pas accordé des compensations suffisantes aux propriétaires dépossédés ; et, comme ils ne pouvaient prendre l’initiative d’une mesure financière, ni introduire un amendement de cette nature, ils se voyaient forcés, à leur grand regret, de rejeter la loi tout entière.

La colère fut générale. Il y eut une succession de meetings, une grêle d’articles, une marée de brochures. Toute l’Angleterre était