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LES JUIFS SOUS LA DOMINATION ROMAINE.

meilleure intelligence. Comme, à cause de sa mutilation, il ne pouvait être rétabli dans le pontificat, Hérode fit venir de Babylone un prêtre inconnu et insignifiant, nommé Hananel, à qui il conféra la dignité de grand prêtre. Alexandra fut outrée ; elle regardait cette haute fonction comme appartenant de droit à son jeune fils Aristobule, frère de Mariamne, jeune homme de dix-sept ans, d’une remarquable beauté. Ce qui faisait la force d’Alexandra, c’est qu’elle avait des relations intimes avec Cléopâtre, reine d’Égypte, toute-puissante elle-même sur Antoine. Mariamne agit de son côté. Hérode fut obligé de céder. Il déposa Hananel et le remplaça par Aristobule. Le jeune grand prêtre eut un succès extraordinaire à la fête des Tabernacles de l’an 35. Quelques mois après, il payait cher ses honneurs précoces. Pendant une fête à Jéricho, Hérode l’amena se baigner dans une des grandes piscines qui entouraient le palais, et où déjà nageaient des petits jeunes gens de la maison à qui il avait donné le mot. Hérode avait mis les choses sur le ton de l’espièglerie. Les petits jeunes gens, pour continuer, s’amusèrent à tenir sous l’eau la tête du jeune grand prêtre. Il faisait sombre dans la piscine ; ils la tinrent assez de temps pour qu’il fût noyé. Hananel fut établi à sa place sur-le-champ.

On devine la rage d’Alexandra. Elle agit de nouveau auprès de Cléopâtre, pour qu’elle fît évoquer le cas par Antoine. Hérode consentit à l’assignation et se rendit auprès d’Antoine à Lattakié. Cette fois encore sa caisse le sauva. Cléopâtre eut beau pousser à sa perte, elle dut s’entendre dire par son amant qu’il ne faut pas être si curieux des actions des princes. Antoine le renvoya blanc comme neige. Mais la haine des deux femmes, excitée encore par des intrigues dont nous omettons le détail, arrivait à son comble.

La plus mauvaise carte du jeu d’Hérode était l’antipathie de Cléopâtre, qui ne l’aimait pas et qui, de plus, convoitait la Judée. En 34, Antoine lui donne toute la côte de Palestine et Jéricho. Hérode se résigna à prendre à ferme, pour deux cents talens par an, les terres qui naguère faisaient partie de son domaine immédiat. Après cela, il lui fallut encore paraître satisfait et recevoir avec un visage rayonnant Cléopâtre à Jérusalem. Cléopâtre essaya de se faire aimer de lui, sans doute pour le perdre s’il cédait[1]. Hérode fut très prudent ; un instant, il songea à se débarrasser de cette femme, qui était dans sa main. Il se contenta de la combler de présens et de la reconduire avec les plus grands honneurs jusqu’à la frontière d’Égypte.

  1. Jos., Ant., XV, IV, 2. Tout cela n’a pu être su que par Hérode lui-même et, est, par conséquent, un peu douteux.