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énumérait avec précision, afin d’opérer leur jonction et combiner leur marche avec la flotte française. Junot était chargé de transmettre sur ce point les injonctions les plus impérieuses au roi Charles IV et surtout au premier ministre, le prince de la Paix. En second lieu, comme il était indispensable que le Portugal agît de concert avec la France et l’Espagne en se déclarant contre l’Angleterre et en lui interdisant l’accès de ses côtes, Napoléon réclamait l’aide diplomatique du cabinet de Madrid pour entraîner l’adhésion du prince régent. Junot avait donc ordre de faire connaître au prince de la Paix la volonté de l’empereur à cet égard, de demander l’intervention personnelle du roi Charles IV à Lisbonne, et de ne pas lui cacher que, dans le cas où le prince régent refuserait d’y déférer, la France s’emparerait du Portugal. On comptait pour cette conquête sur l’union des troupes espagnoles et françaises, et Junot était autorisé à s’entendre, dès à présent, avec Sa Majesté Catholique « sur la destinée future de ce royaume[1] ». Il est inutile de faire remarquer combien cette dernière confidence était aventurée ; on verra même qu’elle devançait singulièrement, dans des prévisions subordonnées à tant de circonstances, les résolutions décisives de Napoléon. Il engageait ainsi bien prématurément sa politique, car ce fut seulement deux ans plus tard, et après des fluctuations contradictoires, qu’il en vint aux mesures extrêmes qu’il annonçait dès lors. Peut-être voulait-il seulement effrayer le Portugal ; peut-être aussi avait-il l’idée de séduire l’Espagne en ouvrant une perspective à son ambition, s’assurer ainsi du concours de ses escadres, quitte à faire ses comptes avec elle après l’événement.

Ce qui permet dépenser qu’il n’avait point alors le projet bien arrêté d’en venir immédiatement à la violence envers le Portugal et n’envisageait cette perspective que pour un avenir incertain ou du moins assez éloigné, c’est qu’il montra beaucoup de sollicitude pour les détails extérieurs et mondains de l’ambassade de Junot à Lisbonne. Il voulut que celui-ci se préoccupât avec soin de son train de maison, et du brillant appareil dont il devrait être entouré. Il fit part de ses intentions, non seulement à son ambassadeur, mais encore à Mme Junot : il l’entretint plusieurs fois à ce sujet sur ce ton à la fois plaisant et impérieux qu’il affectait en parlant aux femmes ; il lui fit des recommandations minutieuses sur le langage qu’elle avait à tenir aux princesses portugaises et à leur entourage en ce qui concernait la famille impériale et la société de Paris, sur la grande idée qu’elle devait donner de l’éclat

  1. Correspondance de Napoléon, n° 8350.