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qu’il n’admettrait de la part des amiraux aucune excuse ni aucun retard, et que, dans chacun des deux ports, les six vaisseaux seraient à la date convenue en état de prendre la mer. Disons tout de suite qu’en effet l’amiral Villeneuve, sorti de Toulon le 30 mars, rallia à Cadix la division de Gravina dans les premiers jours d’avril ; quant à la flotte espagnole du Ferrol, à peu près pour vue après quelques lenteurs, elle eût été en mesure de s’unir à celle de l’amiral Ganteaume qui devait la rejoindre en venant de Brest, si la persistance des vents contraires n’eût empêché sa sortie de ce dernier port et n’eût, comme on sait, forcé de modifier le plan auquel elle devait être associée.

Ce point capital ayant été ainsi rapidement réglé par l’insistance de Junot, ses entretiens journaliers avec le premier ministre prirent une forme plus intime, et bientôt tout à fait confidentielle. Il se conformait ainsi à la pensée de Napoléon qui, tout en réclamant impérieusement le concours de l’Espagne, voulait alors plaire à cette cour et l’entraîner à sa suite autan ! par amitié que par contrainte. Le général rencontra d’ailleurs chez le prince de la Paix des dispositions favorables ; celui-ci, dont les timidités ou le mauvais vouloir avaient été si violemment stigmatisés par le premier consul en 1803, était encore sous l’impression de la terreur que lui avaient inspirée alors ces expressions redoutables. Depuis la création de l’empire, à peu près rentré en grâce à force de flatteries et de complaisance, il entendait affermir cette nouvelle situation, ne la compromettre par aucun écart, et en user pour le maintien et l’accroissement de sa fortune politique. La venue d’un personnage honoré de l’amitié de l’empereur était pour lui une chance inespérée ; il s’empressa donc de le traiter avec la plus affectueuse familiarité ; dès la seconde entrevue il lui demanda sa montre et sa tabatière comme souvenir et lui offrit en échange une boîte de mille écus et trois chevaux : « C’est pour lui une grande affaire, écrit le général assez étonné de ces démonstrations, car il n’aime pas à donner. »

L’entretien sur le Portugal suivit ces premiers épanchemens. Nous avons dit que Junot devait ne pas cacher les intentions de conquête qui étaient alors, en cas de résistance, le dernier mot de la politique impériale à Lisbonne. Il fit allusion à cette éventualité, mais en passant, et il fut très étonné de la réponse de Godoï ; il était loin en effet de supposer jusqu’où s’élevaient les ambitions du premier ministre espagnol. Celui-ci commença, n’osant encore démasquer entièrement ses étranges espérances, par diverses observations sous forme voilée, mais assez significatives, sur les sentimens du gouvernement portugais ; selon lui, le prince régent