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le maréchal Lannes, le 19 mars 1804, sur la base de la neutralité et d’un subside, mais il ajoutait aussitôt que les circonstances actuelles, la rupture du traité d’Amiens, la déclaration de guerre de l’Espagne au gouvernement britannique et les nécessités de la lutte, le système maritime anglais ouvertement contraire au droit international et à la liberté des mers, les nombreuses infractions à la neutralité, rendaient impossible le maintien des stipulations précédentes. Le moment était venu « de se porter vers un nouveau système politique plus conforme aux intérêts des deux États ». Il fallait profiter de la présence de M. d’Araujo au pouvoir pour faire cesser définitivement la sujétion du Portugal à l’Angleterre : « Le ministère anglais, disait M. de Talleyrand, a établi arbitrairement, à sa convenance, le droit de blocus, le droit de visite, le droit de saisie. Il a insulté tous les ports, tous les rivages du continent… Contre un gouvernement sans foi envers ses amis, sans respect pour les principes du droit des gens et de l’humanité, il est tout à la fois de l’honneur et de la prudence de ne plus se lier à ses promesses, et de se mettre en état de repousser ses agressions. » D’un autre côté, l’Espagne ne pouvait souffrir que les escadres anglaises trouvassent dans les ports du royaume voisin des facilités d’abri et de ravitaillement ; elle exigeait donc, comme la France, que le prince régent prît, une décision catégorique. M. de Talleyrand concluait en chargeant l’ambassadeur de réclamer à Lisbonne la rupture avec l’Angleterre et la clôture des ports. Il ne prescrivait cependant encore aucune déclaration coercitive ; jusqu’à nouvel ordre, le général devait se borner à une invitation amicale, fondée sur l’intérêt même du Portugal ; on se réservait d’adopter une décision suivant sa réponse, et aussi d’après la tournure que prendraient les événemens en Europe. La négociation, pacifique en apparence, était donc très menaçante en réalité : Junot savait mieux que personne à quoi s’en tenir, puisque, ainsi qu’on l’a vu, il avait été autorisé à discuter avec le prince de la Paix, dans l’hypothèse de la résistance du prince régent, l’éventualité de la conquête du Portugal.

On est frappé, en lisant ce document, de l’étonnante sérénité avec laquelle le gouvernement impérial, tout en parlant des intérêts du Portugal, place les siens en première ligne comme un droit indiscutable qui domine tout et s’impose à l’adhésion universelle. À ce point de vue, ces instructions sont fort significatives : elles sont un des premiers actes diplomatiques où la politique de Napoléon est proposée comme un dogme à une puissance étrangère. Sans tenir compte des difficultés que pouvait rencontrer le cabinet de Lisbonne, sans les discuter même,