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l’ambassadeur, injustement peut-être, ne lui est pas difficile en s’entendant comme il le fait avec le caissier ». Les titulaires des postes secondaires dans le cabinet ne pouvaient que suivre la direction imprimée à l’ensemble des affaires par les principaux confidens du régent. De sorte que Junot n’avait rien à espérer que de son action personnelle et de la timide initiative de M d’Araujo ; mais il gardait la chance des modifications heureuses qu’un grand succès de Napoléon dans sa lutte contre l’Angleterre pouvait éventuellement amener dans les conseils du Portugal. Ajoutons que le sentiment public nous était hostile : bien que le pays fût dans un état déplorable, puisque « rien n’y était payé, ni les militaires, ni les administrateurs, ni les juges », la nation demeurait très attachée à la dynastie, et, inquiète à bon droit des vues de la France, réservait sa confiance à l’Angleterre. Le ministre britannique à Lisbonne, lord Fitz Gerald, diplomate habile, à la fois soutenu par l’opinion générale et les sympathies de la cour, maintenait avec beaucoup d’art la traditionnelle influence de son gouvernement, et, par son altitude officielle autant que par ses pourparlers occultes, encourageait les résistances du cabinet portugais.

Le prince régent et ses ministres étaient toutefois extrêmement troublés par l’arrivée d’un nouvel ambassadeur qu’on leur avait représenté comme le confident intime de Napoléon. Ils résolurent donc, en toute hypothèse, de le recevoir avec beaucoup de cordialité. Déjà, sur son passage, il avait été salué par l’artillerie des villes ; dès qu’il fut à Lisbonne, il fut accueilli en grande pompe au palais de Quélus ; on eut soin d’observer dans les moindres détails le cérémonial suivi pour la réception du dernier ambassadeur du Louis XVI, le comte de Châlon ; le prince régent lui montra toute la bonne grâce du monde et voulut même se faire faire un uniforme de colonel-général des hussards exactement semblable à celui que portait l’envoyé de l’empereur. Il était, à ce qu’il paraît, avec sa tournure épaisse, fort ridicule dans ces vêtemens très chamarrés et qui exigeaient une belle mine et une taille élégante : mais il avait à cœur de flatter l’ambassadeur en adoptant son costume. Enfin il lui offrit sur-le-champ le grand cordon de l’ordre du Christ.

Quant à Mme Junot. son audience chez la princesse fut à la fois très solennelle et très amicale. On eût cru lui faire tort en négligeant les moindres règles de l’étiquette, et la princesse portant les jupes à paniers qui étaient de mode au XVIIIe siècle, il fallut que l’ambassadrice fût également affublée de ce somptueux et embarrassant attirail. Accoutumée aux robes étroites du temps, elle