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représentent ni la force ni le nombre, ils personnifient le facteur actif, l’industrie, le capital, le commerce ; ils déterminent l’orientation des intérêts matériels vers un pôle d’irrésistible attraction. celui de la grande république américaine.

Contre cette attraction, rien ne prévaut. À Cuba, comme aux Bahama plus au nord, comme plus au sud, à la Jamaïque, à Haïti, à Puerto-Rico, métis et nègres secouent la torpeur de leur climat tropical, l’oisiveté qu’ils tenaient pour l’apanage des hommes libres ; ils obéissent à une impulsion qui, favorisant leurs intérêts, n’alarme pas leurs velléités d’indépendance, qui leur œuvre des marchés importans sans leur imposer des charges additionnelles. Près de 90 p. 100 du commerce de l’île de Cuba s’effectuent avec les États-Unis, et le commerce est, de nos jours, un facteur plus puissant qu’une suzeraineté devenue nominale, étant données la faiblesse des liens qui rattachent Cuba à la mère-patrie, la distance qui l’en sépare et la détestable administration de l’Espagne. Le contrepoids, partout nécessaire, pour maintenir la prédominance d’une métropole sur sa colonie, fait ici défaut et l’équilibre est rompu. Dans ces conditions, ce ne sont pas les cuirassés, mais les pacifiques paquebots, ce n’est pas la poudre, mais le fret, qui décident de l’orientation d’un pays producteur. Aussi longtemps que l’Europe ; cultivera la betterave et de la betterave tirera le sucre, aussi longtemps Cuba se rapprochera du grand consommateur qui, en échange des produits de ses plantations de cannes, lui fournit les machines nécessaires à la culture de son sol et les capitaux qu’exigent des industries nouvelles. L’axe commercial de la Méditerranée américaine se déplace, il se reporte au nord-ouest, et, par une conséquence naturelle, ces îles voient s’accroître leur importance et s’ouvrir devant elles de vastes horizons.


I.

Cuba fut la première grande terre que Colomb releva aux approches de l’Amérique. Il la prit pour une péninsule du continent asiatique, pour la mystérieuse Cipango. Rien n’est plus tenace qu’une idée préconçue. Le navigateur de génie qui croyait, à tort, la terre plus petite qu’elle n’était ; qui croyait, avec raison, que l’on en pouvait faire le tour en allant de l’est à l’ouest, ne put ni ne voulut admettre que Cuba fût une île. Il défendit, autour de lui, de le dire et de le croire ; il la nomma Juana d’abord, en l’honneur du prince Juan, puis Alpha et Oméga, afin d’affirmer qu’il la tenait pour le commencement et la fin de l’Asie ; il fit plus, il menaça de couper les oreilles et la langue à celui de ses matelots qui met trait en doute son affirmation. Ce ne fut qu’en 1508 que Ocampo,