Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une race intérieure, mais non pour le gagner par son travail.

Il n’en est plus ainsi aujourd’hui. Au contact des étrangers, et surtout des Américains, une transformation s’opère et, aux Antilles comme dans l’Amérique du Sud, l’industrie fait de rapides progrès. Elle apparaît comme la route la plus sure et la plus courte pour arriver à la fortune, et, si la tendance héréditaire persiste encore, si, par goût, par instinct, l’Espagnol s’attache de préférence à l’exploitation du sol, à l’élevage et à la culture, il abdique peu à peu ses préjugés séculaires, il se fait, lui aussi, manufacturier et fabricant, négociant et détaillant.

Ainsi qu’en un microcosme, on retrouve, sur ce sol, la mosaïque des races qui peuplèrent, au cours des siècles, la péninsule ibérique et dont les origines, les aptitudes diverses et les traits caractéristiques forment encore le plus étonnant assemblage et la plus singulière disparate qui existent en Europe. Emportées par le courant d’émigration qui, au XVIe siècle, entraîna l’Espagne vers le Nouveau Monde, ces races se répartirent et se groupèrent, conformément à leurs origines et à leurs affinités, sur ces îles et sur ce continent qu’elles se partageaient, les plus hardies et les plus entreprenantes poussant plus avant dans l’ouest, les plus prudentes et les moins ambitieuses s’arrêtant là où la terre était à leur convenance. Au siècle dernier, Masques et Catalans, Galiciens et Cana-riotes abordèrent successivement à Cuba. Le sol leur parut propice, le climat favorable ; satisfaction une fois donnée à leurs instincts nomades, leurs instincts agricoles s’éveillèrent et prévalurent. Ils fuyaient la misère, ils trouvaient l’abondance ; à chercher mieux, ils pouvaient rencontrer pire.

Les Basques s’établirent les premiers. « Les Basques, disait Voltaire, sont un petit peuple qui saute et danse au sommet des Pyrénées. » Ils furent, dit l’histoire, un peuple belliqueux et vaillant, impétueux dans l’attaque et ferme dans la défense, qui sut maintenir son indépendance et conserver le sol sur lequel il s’était établi, comme il conserva sa langue, ses mœurs et ses traditions. Il eut d’autant plus de mérite à ne pas se laisser entamer que, placé sur la voie même des migrations, là où l’inclinaison des Pyrénées ouvre l’un des seuils d’accès de l’Europe dans la péninsule, il vit passer par ses vallées les nations en marche et les armées en mouvement. Sur son sol, au relief tourmenté, les monts se succèdent et se heurtent comme les vagues marines soulevées par le vent, les monts Cantabres y rencontrent les contreforts des Pyrénées ; débordant les uns sur les autres, ils s’étalent en longues nappes boursouflées. Entreprenans et actifs, orgueilleux de leur origine et dédaigneux île leurs voisins, les Basques émigrent volontiers, mais toujours avec l’idée de revenir dans leur pays, après avoir conquis la fortune.