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développée, renferme aujourd’hui 250000 habitans ; sa rade est l’une des plus vastes du monde ; elle contourne la ville et les collines qui la dominent : , offrant partout un abri sûr et pouvant recevoir jusqu’à mille navires. Elle est encadrée par des villas peintes en blanc, en rose, en bleu, vert et jaune, aux toits plats, à terrasse, qui rappellent l’Orient. Sur les remparts démolis, se déroulent de luxueux boulevards au long desquels s’élèvent de somptueuses résidences, aux frais patios, aux portiques et aux colonnades de marbre. Les promenades publiques, largement dessinées, sont ombragées par les plus beaux arbres des tropiques, ornées de bassins et de jets d’eau. Autour de la ville moderne se succèdent les Casas de ecco, maisons de campagne ombreuses et fleuries, entourées de jardins bien entretenus, et qui font à la capitale une verdoyante ceinture.

Autant la vieille ville, avec ses rues étroites, sinueuses et mal pavées, ses ruisseaux bourbeux, ses maisons basses, bardées de balcons de fer et de fenêtres grillées, ses mendians en haillons, sa foule affairée, rappelle les vieux ports de mer espagnols avec leur indicible saleté et leurs fades effluves, autant la ville nouvelle apparaît pimpante, accorte, gaie et luxueuse. Sur le Paseo, défilent dans leurs équipages les señoras élégantes, les langoureuses señoritas dont les traits délicats, les yeux noirs, les tailles sveltes et les extrémités merveilleuses de finesse font l’admiration des étrangers. La Cubaine des classes supérieures marche rarement ; n’était la danse, dont elle raffole, on pourrait croire que ses pieds lui ont été donnés moins pour s’en servir que comme objets d’art. Passionnée pour le plaisir, elle ne sort de son indolence naturelle et de sa vie casanière que pour le bal, le théâtre et les promenades en voiture. Le matin à l’église, dans l’après-midi elle fréquente les magasins de nouveautés de la Calle Obispo et d’O’Riley, le parque d’Isabella, où se donnent les concerts militaires, les pâtisseries à la mode et, presque tous les soirs, on la retrouve au théâtre Tacon.

Elle est là dans son vrai cadre, nonobstant ce que ce cadre laisse à désirer. La salle est grande, aérée, assez vaste pour 2 000 spectateurs : les stalles, larges et commodes, sont d’un accès facile. Quant aux loges, elles sont séparées du couloir par des persiennes mobiles qui laissent libre passage à l’air, mais ont le double inconvénient de présenter un fond à lignes brisées sur lequel se détachent mal toilettes et profils, et de laisser pénétrer les bruits extérieurs. Les exigences du climat rendent nécessaire cette disposition qui nuit à l’audition ; les clameurs de la rue, les cris des marchands du dehors étouffent la voix des acteurs. « Les spectateurs qui, soit par économie, soit faute de place, n’ont payé que