Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 121.djvu/27

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
23
LES JUIFS SOUS LA DOMINATION ROMAINE.

La distinction des parties réservées au grand prêtre, aux prêtres, aux Juifs laïques, aux femmes, aux non-Juifs, était rigoureuse. Des inscriptions hautaines[1] excluaient les païens. Jésus ne put manquer de les voir, et sûrement ce haram divisé en compartimens, où chacun était parqué suivant sa classe, dut lui paraître le contraire de son église, ouverte à tous.

Les précautions les plus minutieuses furent prises pour que rien, dans le travail de la reconstruction, ne fût de nature à blesser les puritains[2]. Les prêtres présidèrent aux travaux de bâtisse et de menuiserie. Hérode n’entra pas une seule fois dans les parties d’où les laïques étaient exclus. Le naos fut construit par les prêtres seuls en dix-huit mois. Il se forma des légendes pour expliquer la hâte qu’avait le ciel de voir s’achever le travail sacré. La dédicace se fit avec solennité ; le roi à lui seul fit immoler trois cents bœufs. Les Juifs pieux se montrèrent assez contens et ne ménagèrent pas l’expression de leur admiration. Hérode eut là un moment de popularité juive qui dut lui paraître chose assez neuve. La gloire, au sens grec, était le mobile principal de sa vie. Ce temple prodigieux fut la grande œuvre de son règne. Il s’en pavana sur ses vieux jours. Le temple du monde fut la gloriole d’un vieillard. Voilà qui est un peu mesquin.

Ajoutons que ce temple dura peu. Il fut comme l’effort suprême qui précède la fin. Jésus le vit et n’aima que la veuve qui jetait une petite monnaie dans le tronc. L’église chrétienne n’en sortit pas : elle sortit de la synagogue et de la basilique, non du temple. Au point de vue de l’architecture, le temple, boîte fermée, ou plutôt boîte dans une boîte, à la façon égyptienne, avec son haram rectangulaire, comme les grands temples de Syrie et les Caabas arabes, donna la mosquée. Le temple d’Hérode, cependant, eut sa grande destinée historique, puisque les chrétiens de la première église de Jérusalem y furent fort attachés. Jacques, frère du Seigneur, y passait, dit-on, ses journées en prières. La dévotion y commença[3]. Le monde très pieux où se recruta le premier christianisme fut dévot au temple ; on y allait comme maintenant les personnes religieuses vont à l’église passer des heures en prières. Et ces prières-là furent des prières exaucées ; ce furent les soupirs, les larmes des habitués de ce

  1. Le dé de pierre portant l’inscription en grec a été conservé. Clermont-Ganneau, Acad. des Inscr., Comptes rendus, 1872, p. 170-192.
  2. Ce qu’on raconta plus tard d’un aigle d’or consacré sur la grande porte du temple est peut-être une invention de sectaire, destinée à fomenter une révolution. Ou bien il faut dire que, dans ses derniers temps, Hérode s’appliqua moins à ne pas blesser les susceptibilités juives.
  3. Cela est sensible surtout dans l’Évangile de Luc.