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qui se nourrissaient de la chair des animaux, et, comme les bêtes, broutaient l’herbe des champs. Mais plus tard, Hercule étant mort en Espagne, les nations diverses qui composaient son armée, et qui avaient perdu leur chef, ne purent s’entendre et se séparèrent. Parmi elles, les Perses, les Mèdes, les Arméniens, passèrent le détroit, abordèrent en Afrique et occupèrent les rivages de la mer. Les Perses s’établirent plus près de l’Océan, ils se mêlèrent peu à peu aux Gétules par des mariages ; et comme, par esprit d’aventure, ils passaient fréquemment d’une contrée à l’autre, ils se donnèrent à eux-mêmes le nom de Nomades. Les Mèdes et les Arméniens se rapprochèrent des Libyens, qui, altérant leur nom dans leur langage barbare, au lieu de Mèdes les appelèrent des Maures. Les Perses furent ceux dont la puissance devint le plus vite florissante ; sous ce nom de Nomades ou Numides qu’ils s’étaient donné, quittant la terre qu’ils habitaient d’abord, et qui regorgeait d’hommes, ils s’emparèrent du pays autour de Carthage, et l’appelèrent Numidie. » Voilà, en quelques mots, ce que le roi Hiempsal racontait des origines de sa race. Mais de qui tenait-il ces renseignemens singuliers ? était-ce de ses compatriotes, comme Salluste semble le penser ? J’avoue que j’ai peine à le croire. Les Numides d’autrefois, pas plus que les Kabyles ou les Touaregs, leurs descendans, n’avaient la mémoire longue. Je doute qu’ils se soient beaucoup préoccupés de savoir de quelle contrée leurs pères étaient sortis. Mais il y avait alors une nation audacieuse, insinuante, répandue partout, en Afrique aussi bien qu’ailleurs, qui ne doutait de rien, qui faisait profession de ne rien ignorer, qui possédait sur elle-même une foule de récits merveilleux et en fournissait généreusement aux autres ; c’étaient les Grecs. Il leur était si naturel d’inventer des fables qu’ils en ont rempli non seulement leur propre histoire, mais celle de tous les peuples. Sur quelques mots qu’ils entendaient dire, leur riche imagination créait toute une légende ; et une fois qu’ils l’avaient créée, ils la racontaient avec tant de grâce qu’on ne pouvait plus l’oublier. Il est clair qu’ici cette intervention d’Hercule et de son armée et ces étymologies invraisemblables ont un tour beaucoup plus grec que numide. Tout au plus peut-on admettre que ces fables s’appuyaient sur quelques traditions locales à demi effacées, et qu’il se trouvait, par exemple, dans la vieille religion du pays, que nous ne connaissons guère, quelque dieu qui, comme le Melkart des Phéniciens, pouvait être assimilé à Hercule. Ce qui le ferait croire, c’est qu’Hercule est devenu la divinité protectrice de la dynastie de Massinissa, que ces rois ont fait graver son image sur leurs monnaies, et qu’ils se sont glorifiés d’être appelés des Héraclides.