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mariée par son frère à Antoine, pour servir de lien entre les deux rivaux, s’était mise à aimer sincèrement ce mari, que la politique lui avait donné, et qui ne la méritait guère. Elle lui pardonna plusieurs fois ses infidélités, elle le pleura quand il mourut, elle recueillit les filles qu’il avait de l’Egyptienne, et se fit un devoir de les élever et de les établir. Séléné dut apporter dans la Mauritanie les habitudes de la cour des Ptolémées. Le roi maure était très fier d’avoir une femme de si grande maison, et il est probable qu’il lui laissa prendre sur lui beaucoup d’empire. Il a témoigné l’affection qu’il avait pour elle en plaçant sur ses monnaies la figure fine et gracieuse de la reine, et en l’accompagnant des attributs qui rappellent l’Egypte, sa patrie. C’est sans doute à son influence que sont dus quelques-uns des beaux ouvrages qu’on a eu la chance de retrouver dans la ville où Juba II fit sa résidence.

En quittant le royaume de ses pères pour la Maurétanie, il avait été forcé d’abandonner Cirta et de se choisir une autre capitale. Il se décida pour Iol, un comptoir phénicien, qui ne paraît pas avoir eu jusque-là beaucoup d’importance, et, en l’honneur de son grand protecteur, il lui donna le nom de Césarée. — C’est aujourd’hui Cherchel. — Il était difficile de faire un choix plus heureux. Le pays a l’en tour est fertile et riant ; on longe, pour y arriver, des collines verdoyantes, on traverse des bois, des prairies, toute une nature qui contraste avec les sévérités des plaines africaines. Quand on approche, on rencontre les restes d’un grand aqueduc qui amenait des eaux sa Libres à Césarée. Entre deux collines, l’aqueduc forme plusieurs étages. pour maintenir son niveau. Au loin, sur une des dernières montagnes du Sahel se dresse le monument que les Arabes appellent Kbour-el-Roumia, et les Européens le Tombeau de la chrétienne. C’est un édifice rond entouré de colonnes ioniques. Le sommet se compose d’une série de gradins circulaires qui vont en se rétrécissant, de manière à former une sorte de cône tronqué ou de pyramide. Quand il était complet, avec ses revêtemens de marbre, ses ornemens de bronze, et couronné par quelque statue colossale, il devait avoir une grande apparence. Aujourd’hui encore, malgré les ravages du temps et des hommes, quand on l’aperçoit d’El-Afroun, se découpant dans le ciel, il est difficile d’en détacher les yeux. C’était la sépulture des rois de Maurétanie. En fouillant l’intérieur, on a trouvé des séries de couloirs qui se coupent entre eux et qui aboutissent à des chambres funèbres. C’est là sans doute qu’ont reposé Juba et Cléopâtre, et ils ont voulu que leur tombe, par sa forme et sa décoration, rappelât