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les deux pays qu’ils aimaient plus que les autres : l’Égypte et la Grèce.

Cherchel est aujourd’hui une toute petite ville enfermée dans une enceinte crénelée, et qui se serre autour de son port ; elle n’occupe guère qu’un coin de la vieille Césarée. L’ancienne muraille est presque partout visible ; on la voit qui part du rivage, monte droit vers la hauteur, en couronne quelque temps les crêtes les plus élevées, puis redescend vers la mer. Le vaste espace qu’elle enveloppe devait être rempli de monumens de toute sorte : la charrue en fait sortir sans cesse des débris ; mais tout est en ruines. Du théâtre, on ne montre plus qu’un grand trou dans un champ ; une ondulation de terrain représente le cirque ; quelques blocs de béton écroulés indiquent la place de l’amphithéâtre. Presque partout la pierre a disparu[1]. Cependant quelques débris que le hasard a conservés nous montrent quelle devait être la splendeur de l’ancienne capitale de la Maurétanie. Sur la principale place de Cherchel, plantée de vigoureux caroubiers, une colonne est debout, entourée de fragmens fort élégans de chapiteaux et de frises. Çà et là d’énormes tronçons de marbre servent de bancs aux rares promeneurs du pays, qui viennent respirer l’air de la mer. Une belle mosquée, dont on a fait un hôpital, est soutenue par une forêt de colonnes antiques en granit vert qui donnent la plus grande idée des monumens où l’on a été les prendre. Enfin, près du port, des thermes ont été déblayés par M. Waille, professeur à l’École des lettres d’Alger, qui semble s’être consacré à l’étude de l’antique Césarée ; il y a mis à découvert de belles salles élégamment décorées ; mais ce qui fait surtout l’originalité de Cherchel, c’est le grand nombre et la beauté des statues qu’on y a trouvées. Quelques-unes ont été jugées dignes de figurer dans les salles du Louvre ; d’autres ornent le musée d’Alger. Celles qui restent, — il en reste beaucoup, — sont entassées sans ordre dans un tout petit jardin et, à l’exception de quelques-unes qu’on a pu installer sous un hangar, livrées à toutes les rages du soleil africain.

Les statues antiques ne sont pas très communes en Algérie. Pour qu’on en retrouve un si grand nombre et de si belles dans une seule ville, il faut qu’il y ait une raison particulière. Cette raison

  1. Il faut dire que Cherchel est une des villes de l’Algérie où les antiquités ont été le moins respectées. Notre domination a été bien plus fatale aux monumens romains que celle des Turcs. Quand j’ai visité les Thermes, on y pouvait à peine poser le pied, tant les pavés de mosaïque étaient couverts d’ordures. Il est vraisemblable qu’on achèvera bientôt de les démolir, si l’on a besoin de pierres pour construire quelque maison ou remblayer quelque chemin.