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Ainsi, tous les souverains se trouvaient en mesure de dicter chaque jour, à leurs plénipotentiaires, le langage qu’ils devaient tenir et pouvaient de cette manière défendre eux-mêmes leurs droits et leurs prétentions. Lord Castlereagh, trois autres plénipotentiaires, le duc de Wellington enfin, n’arrivèrent qu’en janvier. Toutes les puissances, tous les États d’Europe avaient, à un titre ou à un autre, leurs représentans dans la capitale de l’Autriche. Murat en avait deux ; le Pape avait envoyé le cardinal Consalvi avec le titre de légat. Il n’a jamais existé, je crois, de réunion diplomatique aussi nombreuse, ni dans laquelle des intérêts aussi multiples, aussi variés, aient dû se discuter. Il y avait quatre-vingt-treize ministres plénipotentiaires ou simples plénipotentiaires de souverainetés reconnues ; et le nombre des députés chargés de faire valoir des réclamations était de soixante-sept.

Le début des plénipotentiaires français fut encore plus rude qu’il n’avait été possible de le présumer. Il est certain que, dans les deux ou trois premières semaines, outre les indices multi pliés de la mauvaise volonté des cabinets étrangers les plus puissans, ils eurent à supporter tous les désagrémens d’une impopularité mal dissimulée. Il y eut beaucoup à faire pour se relever d’une position si cruellement déprimée ; on ne peut refuser à M. de Talleyrand le mérite d’en être sorti d’une manière fort brillante, car, à la fin du congrès, il marchait en tête des plus influens. Comment ce changement s’est-il opéré ?

Je ne saurais avoir la prétention d’écrire une histoire du congrès de Vienne. Cette histoire serait à elle seule un ouvrage de longue haleine, tout à fait hors de proportion avec la place que je peux lui donner dans un récit où il me faut parcourir tant de faits et d’époques différentes. Je ne dirai donc que ce qui est strictement nécessaire pour bien faire connaître dans quel esprit la France a pris part aux négociations, comment ses intérêts ont été compris et soutenus par celui qui était chargé de les défendre.

Dès le 22 septembre, c’est-à-dire avant le jour fixé pour l’ouverture du congrès, les plénipotentiaires de Russie, d’Au triche, de Prusse et d’Angleterre, à savoir MM. de Nesselrode, de Metternich, de Hardenberg, de Humboldt, et lord Castlereagh, s’étaient réunis et avaient consigné dans deux protocoles les règles auxquelles ils entendaient soumettre les discussions et les délibérations du congrès, ou plutôt la part qu’ils consentaient à y laisser prendre à la France et à l’Espagne. Partant du traité de Paris et s’appuyant sur les termes de l’article secret dans lequel il était dit que les distributions à faire